Jean-Baptiste Colbert : créer l'industrie française
Quand il arrive au pouvoir en 1661, le royaume de France est dans une situation catastrophique. Il va réussir à transformer le pays pour longtemps. Voici sa méthode.
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Ah quelle ironie !
Jean de la Fontaine et Colbert s'apprécient peu.
Le premier est le protégé du surintendant Nicolas Fouquet qui se trouve être le pire ennemi du second. Ce 2 mai 1684, le fabuliste prend la parole devant une assemblée qui se délecte du spectacle qu’on lui offre. Le fabuleux fabuliste transpire à grosses gouttes.
Le pauvre est finalement la dernière victime d’une bataille pourtant terminée, celle qui a opposé Fouquet et Colbert.
Car en plus d’une inimitié féroce, Fouquet et Colbert ont deux visions de l’État qui se confrontent. Fouquet protège une gouvernance d’état archaïque reposant sur un système semi-féodal et clientéliste. Comme tous ses prédécesseurs et notamment Mazarin, il confond souvent le budget de l’État avec son portefeuille.
Autres temps autres mœurs.
Mais depuis 1648, c’est la banqueroute, le système fiscal est aussi injuste qu’inefficace, la justice aussi féodale que contestable et pour compléter le tableau, l’ordre et la sécurité ne sont pas assurés dans les rues.
Non décidément, ce tableau ne colle pas avec l’image et les ambitions de Louis XIV. Très bien, dans ce cas, le très méthodique Colbert sera l’architecte de la reconstruction du royaume.
Tant pis pour Fouquet.
Depuis son arrivée en 1661 aux finances jusqu’à sa mort en 1683 , Jean-Baptiste Colbert convertit la France à la modernité inspirant quelques dizaines d’années plus tard d’autres nations comme la Chine, les États-Unis ou encore le Japon.
Comment a-t-il réussi à transformer le pays ?
Pourquoi se souvient-on plus de 330 ans après sa mort de ce Rémois au caractère froid et féroce devenu le principal ministre de Louis XIV ? Et puis… Je n’oublie pas La Fontaine. Pourquoi est-il si mal à l’aise devant son public ?
Colbert anime des équipes réduites
La première mission de Colbert est de remettre de l’ordre dans les finances du royaume. Et c’est peu dire que le désordre est grand et le système vicieux.
Comme l’écrit Marc-Daniel Seiffert :
“Le souverain ne peut trouver de crédit que comme un simple particulier. Comme il n’y a pas d’administration fiscale, ce sont les personnes privées qui collectent l’impôt et prêtent à l’État”.
Et le plus gros créancier de l’État se trouve être Nicolas Fouquet lui-même, en charge des finances du Royaume. En le remplaçant, Colbert décide de mettre fin à ce système.
Sa grande réforme repose sur un principe simple : c’est le Roi et lui seul qui maîtrise des finances publiques et donc, les dépenses, mais aussi les recettes.
Or, le coût du recouvrement de l’impôt avoisine les 50 % des sommes collectées.
En l’absence d’administration, de nombreux intermédiaires privés se chargent de la collecte de l’impôt tout en en prélevant bien entendu une partie.
Alors, l’administration fiscale s’organise peu à peu et réduit drastiquement le nombre d’intermédiaires et donc le coût de recouvrement de l’impôt. Charge à la trentaine d’intendants (l’équivalent de nos préfets) d’en être les relais dans chaque province.
On retrouve cette approche minimaliste dans la composition de son cabinet composé seulement d’une douzaine de conseillers d’État alors que le cabinet d’un premier ministre compte aujourd’hui plus de 50 collaborateurs.
Colbert a compris que chaque échelon avait un coût. Il veille donc à en limiter le nombre.
Colbert élargie sa vision au monde
Colbert innove sur le plan fiscal et beaucoup d’instruments de sa politique en tant que Contrôleur Générale des Finances vivent toujours dans notre démocratie. Citons par exemple l’exercice de prévisions budgétaires ou encore l’objectif d’équilibre entre les recettes et les dépenses.
Mais les réformes se heurtent à des contestations comme celles des Bonnets Rouges en Bretagne en 1675 (oui oui) et finalement il doit trouver des sources complémentaires de recettes pour équilibrer les comptes de l’État.
La première pièce du système Colbert se met en place.
Il décide d’instaurer une politique protectionniste : les importations de marchandises étrangères sont fortement taxées voire interdites. C’est le cas de la soie.
Mais il faut également attirer l’argent des pays voisins. Colbert est fasciné par la réussite des Provinces-Unies (la Hollande) qui dominent économiquement l’Europe. Il s’en inspire pour appliquer une politique mercantiliste et industrialiste, c’est-à-dire en faveur du commerce et de l’industrie.
Commence alors la Guerre d’Argent : il faut s’appuyer sur le commerce international pour vendre le plus possible de marchandises et en acheter le moins possible. Pour cela, il fait venir les meilleurs artisans d’Europe afin de créer les Manufactures Royales comme les Gobelins (tapisserie), Abbeville (draperie) ou encore la Manufacture Royale des Glaces de Saint-Gobain. Mais aussi des manufactures dédiées au tabac, à la céramique, à la sidérurgie et à la construction navale.
Afin de les approvisionner, le principal ministre de Louis XIV créé alors en association avec des marchands la Compagnie des Indes Occidentales et sa jumelle la Compagnie des Indes Orientales. Cela permet d’importer sucre ou cacao, porcelaine ou thé et quelques matières premières importantes.
Afin de les transporter facilement, il faut un canal qui fasse le lien entre la Méditerranée et l’Atlantique. Cela sera le canal des Deux-Mers, autrement dit, le canal du Midi.
Enfin, pour protéger les navires marchands, il faut une flotte armée. Ainsi, en 1683, la France dispose de 276 navires de guerre. Du jamais vu.
Ainsi, l’or du Royaume reste au sein du Royaume. Plus besoin d’acheter des produits de luxe à l’étranger. Il est même possible d’exporter et de consacrer l’importation à certaines matières premières si besoin. Enfin, les réalisations des manufactures redonnent du prestige au royaume comme les miroirs de la Galerie des Glaces fabriqués par la manufacture de Saint-Gobain.
La France, pays rural, commence sa mue vers l’industrie. C’est le début du Made In France :
“(le système Colbert") est fondé aussi sur une vision du monde mondiale et maritime, ce qui est rare pour un Français” Marc-Daniel Seiffert
Colbert a compris le rôle de la proto-industrie et du commerce mondial dans l’économie.
Colbert, homme de raison dans un monde de tradition
Colbert est un iconoclaste de son temps.
“C’est le règne de la raison et une application concrète dans les affaires publiques et économiques du Discours de la Méthode de Descartes”. Marc-Daniel Seiffert
N’oublions pas que l’ouvrage de Descartes est sous-titré : “Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences”. C’est exactement ce que va faire le ministre de Louis XIV, également créateur de l’Académie des Sciences en 1666.
“L’État collecte de manière normalisée les informations quantitatives et qualitatives sur la situation économique et sociale. A partir de ces données, il met ensuite en œuvre une politique économique globale sur la longue durée. Dernière étape, l’évaluation des politiques publiques qui permet de les modifier ou non” Marc-Daniel Seiffert dans “Colbert : une source d’inspiration pour les décideurs d’aujourd’hui”.
Avec Colbert, certains historiens le pensent, c’est la raison laïque qui arrive dans les affaires publiques.
Conclusion
Colbert depuis sa mort, est adoré ou détesté.
Peu aimé par ses contemporains, adulé pendant la Troisième République, aujourd’hui décrié notamment pour le Code Noir, il reste un personnage central de l’Histoire de France et comme Napoléon, son legs est toujours présent dans le fonctionnement de nos institutions et nos politiques économiques.
Jean de La Fontaine n’en pensait pas que du bien. On le soupçonne même d’avoir écrit un pamphlet sur lui :
“Ministre avare et lâche, esclave malheureux,
Qui gémit sous le faix des affaires publiques,
Victime dévouée aux chagrins politiques,
Fantôme révéré sous un titre onéreux,
Vois combien des grandeurs le comble est dangereux,
Contemple de Fouquet les funestes reliques.”
Le 2 mai 1684, le fabuliste prend donc la parole devant les académiciens car il brigue le fauteuil 24 de l'Académie Française laissé vacant. Comme le veut la tradition, il doit prononcer l'éloge de son prédécesseur disparu :
Homme dont le nom ne mourra jamais, infatigable Ministre qui a mérité si longtemps les bonnes grâces de son Maître ; combien dignement s’est-il acquitté de tous les emplois qui lui ont été confiés ? Combien de fidélité, de lumières, d’exactitude, de vigilance ? Il aimait les Lettres et les Savants, et les a favorisées autant qu’il a pu.
Colbert n’en demandait pas tant.
🧠 En pratique
L’intermédiation coûte toujours plus cher qu’on le pense. Avant de rajouter une strate managériale dans une équipe, réfléchissez-y à deux fois. Comme le dit Jurgen Appelo : on peut avoir moins de managers et plus de management.
Pour résoudre un problème complexe, il faut souvent chercher la solution en prenant de la hauteur de vue. C’est ce qu’a fait Colbert en regardant en dehors de France les possibilités d’enrichissement. La solution se trouve alors plus haut que le problème qu’elle peut résoudre.
Sans un minimum de données dans un projet, on a toutes les chances de se planter. Faites votre Colbert de service en transformant vos intuitions en conviction par un travail de recherche de données qualitatives et quantitatives.
📺 Une vidéo bonus
Comment ne pas partager avec vous cet entretien avec Marc-Daniel Seiffert. La vidéo a pour titre “Comment s’inspirer de Colbert au 21ème siècle ?” et vous permettra d’en savoir plus.
Voici les ressources nécessaires à la préparation de cette newsletter :
📚 "Colbert : une source d'inspiration pour les décideurs d'aujourd'hui”, ouvrage collectif dirigé par Jean-Paul Méreaux et Marc-Daniel Seiffert
🎙️ Le podcast “Dans la peau de Jean-Baptiste Colbert” sur Radio France
📺 Cette vidéo bien faite sur Colbert ou celle-ci encore.
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