Léon Gambetta : Fonder la IIIe République
Au lendemain de la défaite de Sedan le 1er septembre 1870, la France préfère le retour du roi au retour de la république. Léon Gambetta notamment a changé la donne. Voici comment.
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Les habitants de la ville de Frohsdorf se souviennent ce matin du 25 août 1883 de l’incroyable destinée de celui qui vient de quitter cette terre. Ils se souviennent d’avoir accueilli cet exilé d’outre-Rhin. Ils se souviennent de l’avoir croisé, peut-être de lui avoir parlé. Il va désormais rejoindre dans leur lit de terre sa sœur Louise et son grand-père, le roi Charles X. Henri d’Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord est mort. Et avec lui, Henri V, le roi qui n’est jamais devenu monarque.
Et pourtant, …
Un simple « Oui » de sa part aurait suffi.
Unique prétendant au trône de France en 1873, Henri d’Artois refuse de faire du drapeau tricolore le drapeau national. Question de principe, le drapeau du pays, s’il en devient le Roi, sera blanc et uniquement blanc :
« Je l'ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu'il ombrage ma tombe. »
Hélas pour lui, si la France de 1871 veut un roi, pour elle synonyme de retour à l’ordre et à la paix , elle ne veut pas se séparer des acquis de la Révolution et de son drapeau tricolore. Le duc d’Aumale résume la situation :
« Les Français sont bleus, et ils voient rouge quand on leur montre du blanc. »
Devant l’obstination du petit-fils de Charles X, le parlement arrête le processus de restauration.
L’intransigeant comte de Chamfort ne deviendra jamais Henri V.
La République peut alors continuer sa route commencée notamment par Léon Gambetta, le protagoniste de cette édition. Au contraire d’Henri D’Artois, il a su profiter des circonstances dans un seul but : fonder et pérenniser la République.
C’est pourtant si mal parti.
La population française est encore largement attachée à la tradition monarchiste. Quelques mois avant la défaite de Sedan, le régime napoléonien était encore approuvé largement par le corps électoral et les élections du 8 février 1871 donnent également une incontestable majorité aux conservateurs monarchistes : 400 députés sur 650.
Alors comment Gambetta et ses alliés ont-ils fait pour pérenniser la République devant l’adversité ?
Gambetta repère le Kairos et en profite
Dans la mythologie grecque, le Kairos est un dieu affublé d’une longue touffe de cheveux. Vous pouvez le croiser et ne pas le voir. Vous pouvez le croiser, le voir et ne rien faire. Vous pouvez aussi le croiser, le voir et “saisir l’occasion aux cheveux”. Kairos a donné en latin opportunitas.
Repérer et saisir les opportunités, voilà bien une qualité de Gambetta.
La défaite de Sedan le 2 septembre 1870 marque la fin du second empire. Napoléon III et cent mille soldats sont faits prisonniers. Le 4 septembre, devant l’envahissement du Palais Bourbon par une foule réclamant la république, Gambetta, opposant du second empire, en profite pour la proclamer après quelques scrupules et hésitations tout de même. Ah, l’occasion était trop belle !
C’est son premier coup de génie. Une première partie de son objectif est atteinte.
Cette capacité à profiter des circonstances est aussi à l’origine de sa carrière politique. Il se fait connaître en 1868 en défendant comme avocat un opposant au régime de Napoléon III. Sa brillante plaidoirie marque les esprits et il devient dans le même élan député l’année suivante en se démarquant par ses idées républicaines et radicales.
Il dira lui-même être « entré sur la scène du monde par effraction ».
On peut dire qu’il en est de même pour la 3ème République, c’est d’ailleurs ce que pense Jules Grévy. Rien n’est gagné le 4 septembre 1870. La République n’est à cette date qu’un régime de transition.
Gambetta préfère la pratique à la doctrine
Le député Gambetta en 1869 imagine et porte le programme de Belleville, programme unique des Républicains, qui repose sur plusieurs principes inspirés par la Seconde République :
La liberté de la presse, de réunion ou d’association,
La séparation de l’Eglise et de l’Etat,
L’instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire.
Il en ajoute trois autres issus de la Révolution :
L’élection des fonctionnaires : c’est un principe que l’on retrouve aux Etats-Unis, notamment pour les shérifs,
Le mandat impératif : les électeurs peuvent à n’importe quel moment révoquer leurs députés,
La suppression des armées permanentes.
Selon Gérard Unger, auteur d’une biographie du fondateur de la 3ème République, “Gambetta renonce très vite à ces trois points. Il se rend compte que cela ne peut pas fonctionner. La culture Française n’est pas au mandat impératif mais au mandat représentatif. […] Quant à la suppression des armées permanentes, Gambetta se rend bien compte que c’est impossible en 1870”. Il ira même jusqu’à refonder une armée pour continuer le combat contre la Prusse fin 1870. En vain.
Gambetta s’adapte à la situation en privilégiant la pratique aux doctrines qui comme le précise Jérôme Grévy dans “La République des opportunistes” sont satisfaisantes intellectuellement mais peu efficaces. C’est le début du mouvement appelé “Opportuniste” :
"“Nous nous sommes dit qu’après avoir lutté contre ce César d’aventure (Napoléon III), si jamais on pouvait en débarrasser la France, pour nous commencerait une nouvelle politique, une politique de sagesse, une politique de mesure qui ne livrerait rien au hasard et qui aurait surtout pour axiome fondamental de rassurer les intérêts et de rallier les esprits. C’est là la politique à laquelle on veut bien donner le nom d’opportuniste”.
Sans doute s’est-il souvenu de cette phrase prononcée en 1848 par Jules Grévy, futur Président de la République : “Je ne veux pas que la République fasse peur”.
La suite des événements va lui donner raison.
Gambetta soutient chaque pas dans la bonne direction
Les élections de 1871 donnent une large majorité aux partisans de la Restauration. C’est en partie à cause de Gambetta, refusant d’arrêter la guerre contre les Prussiens, fuyant Paris à l’aide d’une Montgolfière et laissant éclater l’insurrection parisienne alors que les électeurs souhaitent retrouver la paix après deux années maudites.
Mis en retrait par son propre parti, Gambetta réussit à revenir dans le jeu et soutient chaque pas allant dans la direction d’une république consolidée. Il prône alors une démarche d’ouverture, souvent contre ses camarades, pour accueillir toujours plus de républicains nouvellement convertis et provenant de tous bords.
Républicains conservateurs ou républicains radicaux, peu importe. Ce qui compte, c’est de rentrer dans le moule républicain.
Ainsi, Gambetta salue la République conservatrice d’Adolphe Thiers en 1872. Au fond, pour un jour être majoritaire, il tire la conclusion qu’il faut exclure l’exclusion. Va pour l’auberge espagnole version parlementaire !
Conclusion
Le 30 janvier 1875, la république provisoire devient constitutionnelle avec l’amendement Vallon qui nomme enfin la nature du régime. Il est voté avec une voix de majorité notamment grâce au soutien de Gambetta. C’est pourtant une initiative des conservateurs, qui après l’échec d’Henri d’Artois, se laissent 7 ans pour trouver un nouveau prétendant au trône. Gambetta y voit lui le temps nécessaire pour renforcer la popularité de la république et nous, nous héritons du fameux septennat :
“Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible.”
En 1877, les électeurs placent les Républicains en tête avec 313 députés sur 533. Deux ans après, tous les pouvoirs ont basculé du côté républicain y compris la présidence.
Après quelques mois en tant que Président du Conseil, Gambetta meurt à 44 ans le 31 décembre 1882.
Laissons-le conclure cette édition.
« Vous allez peut-être m’accuser d’opportunisme ! Je sais que le mot est odieux. Pourtant je pousse encore l’audace jusqu’à affirmer que ce barbarisme cache une vraie politique. » Gambetta, Chambre des députés, 21 juin 1880
🧠 En pratique
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Apprenez à repérer les opportunités dans les événements qui vous entourent ! Posez-vous la question : comment la situation peut m’aider dans mon projet ? L’opportunisme, ce n’est pas sale 🤓
Les doctrines et les méthodes sont un moyen et non une finalité. Jugez leurs pertinences à l’aune du terrain en face de vous 🤔
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📺 Une vidéo bonus
J’ai reçu Bruno Jarrosson, expert en stratégie, dans mon podcast. Je vous propose de l’écouter nous parler de son approche. Vous verrez qu’il est un bon apôtre d’un réalisme que n’aurait pas renié Gambetta.
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“La République des opportunistes”, Jérôme Grévy
“Gambetta”, Gérard Unger
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