Margaret Thatcher : Redresser l'Angleterre
"Je ne pense pas voir dans ma vie une femme accéder à la fonction de Premier ministre" Margaret Thatcher, 6 ans avant de le devenir elle-même.
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On devrait toujours lire les bons romans plusieurs fois.
Entre deux lectures, à différentes époques de la vie, l’expérience acquise donne plus d’épaisseur à chaque page.
Il y a du Santiago dans la vie politique de Margaret Thatcher.
Je me suis récemment replongé dans le “Le vieil homme et la mer” d’Hemingway. Santiago est un vieux pêcheur qui, après avoir échoué pendant plus de 80 jours à ramener du poisson, se voit embarquer lors d’une sortie en mer dans une lutte de plusieurs jours contre un énorme marlin qui le mène de plus en plus loin au large.
La ténacité de Santiago sédimente toute l’œuvre. Pas un événement ne va le décourager. Il refuse de perdre face au marlin, face à la mer, face au soleil, face au vent.
Il y a du Santiago dans la vie politique de Margaret Thatcher. Comme lui, elle ne lâche rien.
Si son bilan divise, tout le monde lui reconnaît d’avoir forgé la Grande Bretagne que nous connaissons aujourd’hui, en bien ou en mal, 32 ans après son départ du 10 Downing Street.
Et pourtant, fille d’un épicier et d’une couturière, devenue elle-même chimiste puis avocate, rien ne la prédestine à prendre les rênes du pays. Elle-même, en 1973, déclare à la BBC :
Alors revenons sur les qualités de leadership de ce personnage pas banal qui a su imposer des idées qui ont traversé les décennies.
Elle s’imprègne d’idées avant de prendre le pouvoir
Plus on gouverne, plus le temps pour trouver de nouvelles inspirations ou forger de nouvelles idées devient rare et précieux. Celles-ci sont pourtant aussi décisives à l’action et au discours que les fondations le sont à l’immeuble. Il faut donc construire son corpus idéologique avant de prendre des fonctions de leader.
C’est bien ce que Margaret Thatcher a fait.
Les racines de son engagement politique se trouvent du côté de son père, lui-même membre du parti conservateur. Les mémoires de la Première ministre nous apprennent son attachement au “self-help” que l’on peut résumer par “Aide-toi et le ciel t’aidera”. C’est l’idée sur laquelle se construit petit à petit tout le reste.
Elle est radicalement anticommuniste, définitivement atlantiste et résolument eurosceptique.
Les lectures de Friedrich Hayek à l’université puis de Milton Friedman ou d’Arthur Laffer, trois économistes libéraux vont l’aider à construire sa doxa économique et l’amènent à abhorrer l’inflation et à réduire le champ d’intervention de l’état tout en donnant la primauté de son action à la souveraineté de son pays.
Elle rejoint en 1974 le Think Tank Centre for Policy Studies créé par son ami et mentor Keith Joseph.
C’est dans ce Think Tank que le Thatchérisme naît, nourri par les innombrables rapports et recommandations produits par le cercle de réflexion. Et pourtant, cet instrument était destiné à alimenter le programme de son créateur et non celui de l’un de ses membres.
Car la chance frappe à la porte de Margaret Thatcher. Après une déclaration inappropriée sur la régulation des naissances dans les familles défavorisées, Keith Joseph doit abandonner la campagne interne pour la tête du parti conservateur. Elle le remplace et bat l’ex-Premier ministre Edward Heath.
Elle a donc pris le temps de construire son corpus intellectuel avant d’arriver au pouvoir :
L’état doit concentrer ses forces sur les domaines régaliens.
La souveraineté du Royaume-Uni passe au-dessus de tout comme elle aura l’occasion de le prouver plusieurs fois.
Elle est radicalement anticommuniste, définitivement atlantiste et résolument eurosceptique comme nous allons le voir dans la partie suivante.
Pendant les 4 ans qui suivent, Margaret Thatcher prépare l’opinion à ses idées plus radicales que ses collègues du parti dans un pays alors en plein déclassement (le gouvernement travailliste a dû demander un prêt au FMI en 1976).
C’est l’un des secrets de sa première élection le 4 mai 1979.
Elle exprime l’essentiel avec des formules chocs
Les convictions bien ancrées ont une autre vertu. La Première ministre parle simplement et fait ressortir en quelques mots l’essentiel d’une situation.
"Vous et moi, nous utilisons la route ou le rail. Mais les économistes, eux, voyagent sur des infrastructures."
Margaret Thatcher
On se souvient de quelques-unes de ses formules qui ont traversé les décennies comme « Il n’y a pas d’alternative » Ce slogan de campagne sert encore aujourd’hui aux hommes politiques (généralement libéraux) quand il s’agit de discréditer le camp adverse.
La Première ministre a bien compris l’importance des formules chocs. T.I.N.A, soit “There is no alternative” est même devenue “hologrammique”, une notion inventée par Edgar Morin et illustrée ici par Nicolas Bordas dans son livre “L’idée qui tue” :
“En lançant “Aux armes ! Citoyens”, je renvoie à la totalité de l’hymne national.”
“There is no alternative” renvoie aux politiques économiques libérales de la fin du siècle dernier.
Margaret sort la sulfateuse.
Autre exemple, le 30 novembre 1979, après un sommet infructueux entre les gouvernements de la communauté européenne, la Première ministre interrogée par les journalistes partage une revendication jamais vue jusqu’alors au sein de la C.E.E :
“I want my money back!”
La Première ministre sort la sulfateuse. Les Allemands et les Français ressortent groggy du sommet de Dublin.
Ces cinq mots résument parfaitement la position prise par la locataire du 10 Downing Street jusqu’en 1984 et le sommet de Fontainebleau. Ils provoquent une crise au sein de la Communauté Européenne et sont motivés par une simple soustraction : le Royaume-Uni verse plus d’argent à l’Europe qu’il n’en perçoit, la faute à une clé de répartition budgétaire à laquelle la France et l’Allemagne ne veulent surtout pas toucher.
Rien à faire, Maggie ne lâche rien.
D’un sommet l’autre, les négociations échouant du fait de la ténacité de la Première ministre britannique, le Président François Mitterrand en vient à poser la question de l’appartenance du Royaume-Uni à la C.E.E.
Rien à faire, Maggie (c’est le surnom que les Britanniques lui donnent) ne veut rien lâcher.
De guerre lasse, 4 ans plus tard en 1984, les gouvernements européens acceptent de verser au Royaume-Uni un chèque de 7 milliards de francs pendant 5 ans compensant une très grosse partie du solde déficitaire de la contribution anglaise au budget européen.
Tout le style Thatcher est présent dans cet épisode : mettre le feu aux poudres, tenir sa position, passer par-dessus les conventions et trouver quelques formules marquantes autant pour déstabiliser l’adversaire que pour se séduire son opinion.
“Vous m’avez invitée à parler de la Grande-Bretagne et de l’Europe. Je devrais peut-être vous féliciter de votre courage. Si vous croyez certaines choses qu’on raconte ou qu’on écrit au sujet de mon opinion sur l’Europe, c’est presque inviter Genghis Khan à parler des vertus de la coexistence pacifique !”
Margaret Thatcher, discours de Bruges, 20 septembre 1988
Elle rebondit sur les événements
La popularité de Margaret Thatcher est au plus bas en ce printemps 1982. Les réformes impopulaires et la politique monétaire rigoureuse de la Première ministre tardent à donner leurs fruits alors que le nombre de chômeurs augmente de 1,8 million entre 1979 et 1984.
Le 2 avril 1982, l’armée argentine débarque sur les plages des Iles Malouines, territoire britannique depuis 1833, situées à l’extrémité sud de l'Amérique du Sud, c’est-à-dire à plus de 12 000 km de Londres et seulement 500 km des côtes argentines, non loin du cap Horn.
Peu de dirigeants de l’époque apportent leur soutien à la Première ministre. Beaucoup voient dans cette invasion un nouvel épisode de la décolonisation. Parmi eux, le président Ronald Reagan, pourtant très proche de Margaret Thatcher politiquement et idéologiquement.
Au sein même de son administration, c’est clair : la Grande-Bretagne vient de perdre les Malouines. Le Foreign Office ne voit pas de solution diplomatique et le ministre de la Défense ne voit pas de solution armée à ce conflit à l’autre bout du monde.
Beaucoup se seraient résignés. Et les archives de la commission d’enquête britannique 4 mois après l’invasion, montre une Margaret Thatcher sidérée par la situation :
“Cette nuit-là, personne n'a pu me dire si nous pourrions reprendre les Malouines. Personne. On ne savait pas. On ne savait pas”
Que faire ? Elle pense à trouver une solution pacifique, et envisage même l’indépendance des Malouines. Mais très vite, elle décide de ne rien lâcher et ne laisse pas le choix à ses équipes : il faut reprendre les Malouines, surtout si cela a l’air impossible.
C’est bien le champ de bataille qui désigne le Royaume-Uni vainqueur le 14 juin 1982.
Ainsi, aidé par quelques pays, la Grande-Bretagne contre-attaque, aussi bien sur le plan diplomatique que militaire. Mais c’est bien le champ de bataille qui désigne le Royaume-Uni vainqueur le 14 juin 1982 après 2 mois et 12 jours de conflit coûtant la vie à plus de 900 personnes (dont 2/3 d’Argentins).
Cet épisode lui donne l’aura nécessaire pour continuer ses réformes même lors du plus gros conflit social de la fin du siècle dernier. Elle déclare en pleine grève des mineurs :
“Nous avions à combattre l'ennemi de l'extérieur aux Falklands, nous devons toujours nous méfier de l'ennemi de l'intérieur qui est beaucoup plus difficile à combattre, mais aussi beaucoup plus dangereux pour les libertés”.
Elle est réélue triomphalement le 9 juin 1983 en obtenant la plus large majorité à la Chambre des communes depuis 1945.
Conclusion
À la fin de son dernier mandat, la victoire de Margaret Thatcher est moins économique d’idéologique.
En 1990, le taux de chômage est en décrue au Royaume-Uni mais reste plus élevé qu’à sa prise de fonction en 1979. Ce sont les Premiers ministres suivants qui récolteront le fruit des transformations Thatchériennes.
En revanche, c’est un indéniable succès idéologique. 6 ans après son départ, Tony Blair, travailliste et fraîchement élu, se réclame d’une partie du libéralisme de Thatcher, tout comme 10 ans plus tard Gordon Brown son successeur. Ce n’était sans doute pas le plan, mais cela montre à quel point elle a marqué son temps.
Le parcours de Margaret Thatcher illustre parfaitement les commandements du livre “L’idée qui tue”, un best-seller de Nicolas Bordas. Le lecteur apprend que les idées qui remportent du succès suivent pour la plupart le même chemin. Sur cette route, on retrouve beaucoup des techniques mises en œuvre par Margaret Thatcher : tirer parti du contexte, donner aux idées une certaine radicalité pour mieux les faire ressortir, les incarner soi-même ou trouver un porte-parole, et trouver des formules chocs.
Cela, Margaret Thatcher l’avait bien compris.
🧠 Ce que nous pouvons retenir de Margaret Thatcher
Elle a construit son “idéologie” avant de prendre ses fonctions.
Elle parle simplement. Pas un mot de trop. L’essentiel est présent et marque les esprits et n’hésitant pas à choquer si nécessaire.
Elle utilise les événements, bons ou mauvais, comme des opportunités pour diffuser ses idées.
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On reste en Grande Bretagne avec cette histoire étonnante sur Winston Churchill.
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“L’idée qui tue”, Nicolas Bordas
“I want my money back”, Le Monde
Exemples de leadership : 5 personnages historiques analysés
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🙋♂️Alexandre
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