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Certains tableaux figent une histoire.
Celui-ci, du peintre François Dubois, raconte le massacre de la Saint-Barthélemy entre le 23 et le 24 août 1572. On y retrouve les lieux symboliques de la tuerie et ses protagonistes au milieu des petites scènes de meurtres entre voisins.
À gauche l’église du couvent des Grands-Augustins qui selon la légende donna le signal de départ de la tuerie en sonnant le tocsin, à droite l’hôtel particulier d’Anne de Laval, lieu du meurtre sauvage de l’amiral de Coligny, l’un des chefs de file protestants. Juste au pied du bâtiment, son cadavre gisant est entouré des principaux chefs du parti catholique comme les ducs de Guise, d’Aumale et le chevalier d’Angoulême.
Au centre, regardez bien.
On retrouve le bâtiment du Louvre et la silhouette d’une inquiétante veuve vêtue de noir qui participe au massacre. C’est Catherine de Médicis.
Pour l’artiste et les Français de l’époque, elle serait la principale instigatrice du carnage. C’est l’histoire que nous raconte cette œuvre peinte juste après l’hécatombe. Et c’est ce que j’ai appris à l’école comme des millions de Français.
Mais faut-il croire ce tableau “sur parole” ?
Car la vie de la Serpente (le surnom dont elle est affublée) est en fait tout entière dédiée à la recherche du compromis et de la paix entre catholiques et protestants.
Une France divisée
Catherine devient veuve et régente à l’âge de 40 ans en 1559. Son époux Henri II meurt après 10 jours d’agonie. L’éclat de lance qui lui a transpercé le crâne lors d’un tournoi de Joutes ne lui laisse aucune chance.
Lacrymae hinc, hinc dolor
De là viennent mes larmes et ma douleur
Devise de Catherine de Médicis
C’est le début d’un long périple pour la pacification du royaume.
À la mort du roi, on compte plus d’un million de Français protestants regroupés en majorité dans le Sud-Ouest, le Dauphiné, le Languedoc, et le Centre-Ouest. Le développement de la Réforme déstabilise le pays et fragilise son unité. On assiste alors à la création d’une classe dirigeante protestante à même de concurrencer sur certains territoires le pouvoir royal.
François 1er ou Henri II avait su contenir le phénomène en réprimant sévèrement les révoltes. Mais l’arrivée de rois plus faibles change la donne. Car déjà, les différents acteurs des huit guerres de religions à venir entre 1562 et 1598 sont présents.
La désespérante monotonie de la vengeance
La religion est une couverture dont souvent l’on se sert pour cacher une mauvaise volonté
Catherine de Médicis
Quelques figures de premier plan du mouvement Huguenot (les protestants) se rebellent contre la répression. Ils s’appellent Gaspard de Coligny, Louis de Condé ou encore Henri de Navarre (le futur Henri IV). Du côté catholique, nous avons les Papistes, avec comme chefs de file François et Charles de Guise, militants eux, d’une répression sévère du protestantisme.
François II, le premier fils de Catherine, meurt après une année de règne seulement. Charles IX lui succède à l’âge de 10 ans. Catherine devient régente. En s’appuyant sur les plus modérés des deux parties, elle tente une première fois de rétablir la paix avec l’Edit de Janvier qui autorise la liberté de culte, de conscience et l’égalité entre tous. Une avancée majeure après des dizaines d’années de répression. Ça ne suffira pas.
Les papistes les plus radicaux, notamment les Guises, organisent le massacre des protestants de Wassy. Ainsi éclate en 1562 la première guerre de religion qui coûtera la vie à François de Guise. Alors, toujours animée par le désir d’apaiser le pays, Catherine saute sur l’occasion et réussit à faire asseoir tout le monde autour de la table des négociations pour signer le traité de pacification d’Amboise.
Sommes-nous sortis d’affaire ? Loin de là.
Après une tentative d’enlèvement du roi par les protestants, Charles IX déclenche une nouvelle guerre en essayant en vain d'arrêter les principaux chefs huguenots.
Après toutes ses tentatives infructueuses de pacification, Catherine change de stratégie et mise sur une alliance avec Henri de Navarre, futur Henri IV. Ainsi, sa fille Marguerite se marie au nouveau chef huguenot le 18 août 1572. Alexandre Dumas en fera un roman : la reine Margot.
Mais la paix est fragile.
Bien que la flamme soit éteinte, les cendres continuent à brûler.
Catherine de Médicis
Les Saint-Barthélémy
On imagine souvent la Saint-Barthélémy comme le massacre d’une nuit. Ce n’est pas vrai. C’est une sordide pièce en trois actes qui se joue sur plusieurs mois.
Le premier se déroule le 22 août 1572, quatre jours après les noces d’Henri de Navarre avec Marguerite. Ce jour-là, Coligny fait l’objet d’une tentative de meurtre. Vraisemblablement un coup des Guises. La reine mère sent que cela peut dégénérer et envoie son médecin personnel (Ambroise Paré) au chevet de Coligny. Mais il est déjà trop tard.
Et si les Huguenots, furieux de cette nouvelle agression venaient à se venger en s’en prenant à la personne du roi comme ils ont essayé de le faire plusieurs fois pas le passé ? Après tout, ils sont nombreux à Paris à être venus assister aux noces d’Henri.
Animé par la peur et mal conseillé, Charles IX décide de fermer les portes de Paris et d’éliminer les chefs huguenots à l’exception notable d’Henri de Navarre, son nouveau beau-frère, gendre de Catherine.
Pour cela, il se repose sur les troupes papistes. Coligny est ainsi défenestrée, éventré, émasculé et décapité avant d’être traîné dans les rues de Paris. Mais cela ne suffit pas ! Ce sont maintenant les nobles protestants qui logent au Louvre qui sont massacrés par les papistes et leurs dépouilles exposées devant le Louvre.
Le 3e acte est le plus meurtrier. Les parisiens catholiques dans la nuit du 23 au 24 août massacrent leurs voisins protestants piégés dans leur propre ville : hommes, femmes, enfants, ils doivent tous y passer !
Pour quelle raison ? Qu’est-ce qui amènent des voisins à s’entretuer ? Panique généralisée ? Pensaient-ils se défendre d’une offensive huguenote ? Est-ce tout simplement que la violence appelle la violence ?
La Saint-Barthélémy s’exporte ensuite pendant plusieurs mois en province faisant 10 000 victimes dans toute la France jusqu’en octobre 1572.
Comme l’écrit Jules Michelet,
La Saint-Barthélemy n'est pas une journée, c'est une saison
Oui, une saison en enfer.
Conclusion
Les historiens ne sont pas tous d’accord sur le rôle de Catherine de Médicis pendant la Saint-Barthélémy. Il est certain en revanche que les massacres par milliers ne sont pas le fruit d’un complot imaginé par la mère de Charles IX. La situation a très certainement “échappé” au roi.
Mais le doute n’a pas bénéficié à l’accusée. Malgré tous les efforts qu’elle a déployés pour la paix (même après la Saint-Barthélémy), elle restera la veuve la plus haïe de notre histoire tout en ayant pavé le chemin du futur Edit de Nantes.
Car le roi et ses sujets ne sauraient être désignés responsables du massacre sans que cela ne remette en cause le régime et l’unicité du pays. Alors on se dit qu’au fond Catherine de Médicis, étrangère, fille de Laurent II à qui Machiavel a dédicacé le Prince, a été désignée coupable de la Saint-Barthélémy, certainement injustement, et cela au nom de la Raison d’État.
Sources :
Les négociations qui ont fait l’Histoire de France, Jean-Edouard Grésy et Eric Le Deley
Le podcast “C’est plus compliqué que ça”
Post-Scriptum : Interview vidéo de Jean-Edouard Grésy, co-auteur des Négociations qui ont fait l’Histoire de France, sur Catherine de Médicis
Je signale également que Jean-Édouard a partagé sur Linkedin cette interview passionnante de Jérémie Foa, auteur de “Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy”. Grâce à elle, on comprend mieux les motivations des meurtriers.
Je partage avec vous la magnifique conclusion :
“Cet événement montre aussi qu’il subsiste, même dans les pires crises de notre histoire, une marge de manœuvre. Et cette liberté, qui distingue les bourreaux des justes, aucun événement de l’histoire ne peut la supprimer : il existe toujours la possibilité de choisir.”
Si vous identifiez des erreurs, merci de m'informer par e-mail en répondant à ce message.
Alexandre
Merci Alexandre, excellent article, à la fois concis et éclairant. J'ai appris beaucoup.
Petite erreur typo: c'est le traité de paix d'Amboise et non d'Ambroise
Merci beaucoup ! Je lis ta newsletter depuis peu et j’apprécie beaucoup ce que tu proposes : un éclairage bref mais étayé, nuancé, dans lequel j’apprends beaucoup et qui m’aide à surmonter les idées reçues ! :)