De la Grèce aux États-Unis : Une histoire de l'Occident
Cet auteur s'est attelé au Bilan de l'Histoire.
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Le contenu de la newsletter de la semaine repose sur la lecture de “Bilan de l’histoire” de René Grousset. C’est un livre publié il y a 78 ans. Il est donc obsolète sur certains aspects, la recherche historique ayant fait des progrès depuis. Mais il offre l’avantage de proposer une vue d’ensemble de notre histoire depuis la Grèce jusqu’à l’époque contemporaine.
Et quel style !
Bonne lecture,
Alexandre
P.-S. : Je n’ai pas pu tout mettre, il manque notamment des passages sur Charles Quint, les Pays-Bas ou la Russie. Le mieux reste de lire le livre, n’est-ce pas ?
Le titre reflète une ambition pas banale : “Bilan de l’histoire”. Rien que ça. Robert Aron (grand historien, à ne pas confondre avec Raymond) préface le livre et nous envie car nous allons avoir le plaisir de nous engager pour la première fois dans sa lecture.
Suivons son conseil et concentrons-nous aujourd’hui sur sa première partie qui revient sur l’histoire de l’Europe depuis les origines jusqu’à la période contemporaine de sa publication, c’est-à-dire 1946.
C’est donc avec la sagesse de celui qui a vu le pire que Grousset prend la plume (et quelle plume !). Ruines et fresques nous font dialoguer avec l’histoire et ses puissances disparues.
Écoutons-les.
La Grèce
Tout commence par la Grèce antique. La démocratie athénienne, bien qu’imparfaite, marque l’émergence de la liberté individuelle. Les Grecs ont inventé la liberté comme on invente un poème. La philosophie, cet art de poser des questions sans attendre de réponse définitive, portée par des figures comme Platon ou Aristote, élève la pensée humaine à un niveau universel.
Mais la Grèce ne s’arrête pas là. Elle nous laisse aussi l’idée d’un ordre moral transcendant : des lois naturelles qui guident les hommes au-delà des codes écrits. Ces principes, dit Grousset, sont les fondations de la dignité humaine.
Dans le domaine politique et malgré les entraves dont l'État grec chargeait ses ressortissants, la société grecque a créé l'homme libre et le libre gouvernement de la cité. D'un point de vue plus général, l'hellénisme a établi l'éminente dignité de la personne humaine, avec la notion de ces « lois non écrites » qui obligent l'Antigone de Sophocle au même titre que le Socrate du Criton.
Rome
Si la Grèce a inventé la liberté, Rome, moins rêveuse et plus pragmatique, a bâti l’ordre. Avec un génie administratif inégalé, elle a conçu un système juridique capable de durer des siècles. Le droit romain est une pierre angulaire de notre civilisation moderne. Cet universalisme juridique (jusqu’à un certain point), qui structurait la vie des citoyens, a servi de fondement à l’idée d’État moderne.
Rome est bien plus qu’un État puissant. Elle est aussi un espace d’acculturation, où les traditions celtiques, latines et orientales se mêlent pour créer un creuset unique.
Le génie de Rome était fait d'ordre intellectuel, de solidité juridique, d'universalité doctrinale. D'après ce que les écrivains anciens nous ont dit des Gaulois et ce que nous savons des populations celtiques modernes, l'âme celte se distinguait au contraire par sa sensibilité, son penchant à la rêverie, sa fantaisie ailée. Or, le secret de l'esprit français devait résider précisément dans l'intime association et le parfait équilibre de ces deux tendances. Détournez l'onde d'une de ces deux sources, le fleuve français n'est plus le fleuve français.
Le Christianisme
Puis vient le christianisme, qui bouleverse tout sur son passage. Son message, centré sur l’amour et la justice, transforme les valeurs des sociétés européennes. René Grousset insiste : c’est cette révolution spirituelle qui donne à l’Occident sa profondeur morale.
Mais le chemin n’a pas été sans heurts. L’affrontement entre l’Église et les souverains a parfois ralenti l’épanouissement intellectuel, un paradoxe que Grousset explore avec lucidité.
[…] Le christianisme (les siècles et les pays déchristianisés ne s'en apercevront que trop !) représentera, selon le mot de Taine, « la grande paire d’ailes indispensable pour soulever l'homme au-dessus de lui-même ».
Le Hasard
Grousset met en lumière l’importance des contingences et des décisions individuelles dans l’histoire. Le hasard, véritable Deus ex machina de l’Histoire ?
Le traité de Verdun (qui divise le royaume de Charlemagne en trois) ou les mariages dynastiques des Plantagenêts, ont modifié le cours de l’histoire européenne. Ces moments de bifurcation imprévisibles, illustrent combien les civilisations peuvent être fragiles face aux forces du destin et aux erreurs humaines.
Le drame de l'histoire européenne provient d'ailleurs de ce qu'à divers carrefours décisifs elle a été détournée de la voie normale pour s'égarer sur des pistes d’aventure. On reste confondu devant l'enchaînement de conflits et de détours qu'auront entraînés, après le hasard du traité de Verdun, le hasard des mariages Plantagenêt, le hasard du mariage austro-bourguignon. Le malheur du Moyen Âge est d'avoir, à l'imitation des chefs mérovingiens et carolingiens, continûment substitué ainsi à la notion romaine de l'État la notion germanique du bien familial princier ou plutôt les deux conceptions coexistèrent et se neutralisèrent sans cesse.
La Renaissance
Après les errements du Moyen Âge (N.D.L.R : la vision des historiens a depuis changé sur cette période), la Renaissance, inspirée par l’Antiquité, redonne à l’homme sa place au cœur de l’univers. Les arts, les sciences, les idées : tout renaît avec une vigueur nouvelle. Mais l’histoire est une amante cruelle. L’Italie en est le berceau, mais elle paiera cher sa gloire : divisée, elle devient le champ de bataille des puissances européennes.
Enfin l'Italie, comme tant de pays vaincus, devient un champ de bataille où, pendant plus de trois cents ans, les grandes puissances viendront vider leurs querelles. Elle qui avait commandé le siècle et dicté la civilisation, connaît l’amertume de voir les plus graves questions de la politique européenne résolues chez elle, sans elle.
La Réforme
La Réforme protestante, initiée par Luther, marque une rupture majeure. La foi est désormais une affaire personnelle et l’accès à Dieu se fait sans intermédiaire. Le Christianisme est en quelques sortes uberisé (N.D.L.R : l’image n’est pas de Grousset). Ce mouvement ne se limite pas à influencer l’intime, mais il bouleverse également la culture et l’histoire politique non seulement de l’Allemagne, mais de toute l’Europe.
En secouant ce protectorat, en réclamant le droit de prêcher les Évangiles dans sa langue maternelle, Luther n'a pas seulement affranchi la littérature allemande comme la Divine Comédie avait affranchi la littérature italienne ; il a, du coup, libéré le génie allemand, révélé l’Allemagne à elle-même.
La France
La France occupe une place à part dans l’histoire mondiale. Elle incarne, selon Grousset, l’idéal de l’universalité. Des Lumières à la Révolution, elle porte les valeurs de liberté, d’égalité et de raison.
Du Discours de la Méthode qui est comme la déclaration des droits de la raison, à la Déclaration des Droits de l'Homme qui est un peu l'application politique du cartésianisme, l'esprit français légifère dans l’universel. Dans un monde où nous compterons de moins en moins par la masse, c'est à la fois notre honneur et notre raison d'être que de représenter ces grands principes universels.
Cependant, les principes français, souvent propagés par la force (notamment sous Napoléon), ont suscité autant d’admiration que de rejet, contribuant à des bouleversements géopolitiques majeurs, comme les guerres d’indépendance européennes au XIXe siècle.
La domination française, en dépit des immenses services qu'elle avait rendus, de tous ceux qu'elle pouvait rendre encore, s'effondra ainsi devant la révolte des principes qu'elle avait propagés.
L’Angleterre
Grousset admire la manière dont l’Angleterre a su conjuguer liberté individuelle et stabilité politique. Contrairement aux nations latines, l’Angleterre a privilégié des actes concrets à des proclamations théoriques.
Pour elle, la liberté n'était pas une idole invisible, une formule magique en une langue par ailleurs inconnue, mais une manière d'être naturelle, le climat même des esprits.
Les États-Unis
Ils prolongent les idéaux européens tout en les adaptant à un contexte neuf. Fondés par des pionniers animés par un christianisme militant, ils incarnent une démocratie pragmatique, combinant idéalisme et efficacité économique.
Ces rudes ancêtres ont marqué d'une empreinte indélébile la démocratie américaine. Elle leur doit son arrière-plan de christianisme indiscuté et son sens positif, un idéalisme quasi religieux dans les programmes politiques ou sociaux, et, dans la vie économique, la netteté de son réalisme.
L’effort industriel et technologique américain illustre, pour Grousset, une modernité en quête constante de dépassement.
Le travail américain, la production américaine, la conquête américaine des marchés constituaient une des plus passionnantes épopées du vingtième siècle, l'épopée même de l'effort humain à son maximum de rendement.
Rendement à qui nous devons la victoire en 1945 :
L'aigle du blason américain, celui qui plane dans le ciel des Montagnes Rocheuses sur les laboratoires secrets où se désintègre l'atome, avait vaincu l'aigle germanique et survolé le Soleil Levant. L'usine américaine avait détruit la caserne.
Le Flambeau
En conclusion de cette première partie, Grousset nous prévient :
Des étoiles qui paraissent nous envoyer un rayonnement tout semblable, sont séparées non seulement par des gouffres d'espace, mais aussi par des abîmes de temps. Telle d'entre elles qui semble encore briller sur nos têtes est, en réalité, éteinte depuis déjà des millions d'années. D'autres sont nées, dont le rayon n'a pas encore eu le temps de parvenir jusqu'à nous. Il n'en va pas autrement des peuples.
On peut analyser ce texte comme foncièrement pessimiste. Il l’est par bien des aspects. Mais Grousset nous rappelle une chose :
Au cours des pages précédentes, nous avons sans cesse vérifié cette loi historique que le développement d'une société semble toujours s'opérer autour d'une idée-force, à la fois raison interne et but de cette société, car tout groupement humain comme tout homme se dirige plus ou moins consciemment vers l'invisible étoile en lui-même apparue.
Il y revient plus tard dans le livre à propos de la Seconde Guerre Mondiale :
C'est que l'Occident semble avoir oublié le maître-mot qui était comme la clé de sa civilisation. Ce mot magique autour duquel s'était ordonnée la pensée européenne, cette idée-force qui aura été la grande motrice des derniers siècles, c'était l'idée de liberté.
Au fond, Grousset nous livre une fresque où l’histoire de l’Occident se conjugue avec celle de la Liberté. Une idée-force, quelques fois dramatiquement oubliée, parfois trahie par ceux qui prétendent la défendre, mais le plus souvent patiemment transmise, réinventée et magnifiée d’un peuple à l’autre comme un flambeau que l’on refuse de laisser s’éteindre.
Source :
Bilan de l’histoire, René Grousset
Pour aller plus loin :
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Alexandre