Ronald Reagan : Rappeler le mythe fondateur
Quand un grand discours se lit entre les lignes
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Le discours de Reagan ce 28 janvier 1986 après le drame de Challenger a marqué les esprits. Voici pourquoi.
L’espace aussi a ses martyres.
Christa McAuliffe, Judith Resnik, Gregory Jarvis, Ronald McNair, Ellison Onizuka, Francis Scobee et Michael Smith sont les premiers astronautes Américains morts en vol ce 28 janvier 1986, 73 secondes après le décollage de Challenger.
L’émotion est immense pour les Américains et le monde occidental. Il l’est encore plus pour les jeunes élèves de Christa McAuliffe venus assister ce jour-là au lancement de la navette.
Nous sommes encore en pleine guerre froide. Le programme spatial américain est un terrain de jeu scientifique mais aussi une arme géopolitique (la fameuse Guerre des Étoiles). Seulement, 17 ans après Appollo 11, les exploits de la NASA n’impressionnent plus. La machine semble (trop) bien rodée et le risque inexistant. À tel point que la NASA elle-même décide de supprimer les sièges éjectables de sa navette après sa 4e mission. En somme, les vols habités deviennent un divertissement comme un autre. À tel point qu’un des astronautes de la mission Challenger devait interpréter le morceau Dernier rendez-vous de Jean-Michel Jarre au saxophone.
Le choc de ce premier accident est donc à la mesure de la surprise et de la stupéfaction qu’il engendre.
Le soir même, le président Reagan s’adresse à ses compatriotes. Le 40e président des États-Unis est assis devant son bureau. Des photos de famille habillent l’arrière-plan :
J’avais prévu de vous parler ce soir pour rendre compte de l'état de l'Union, mais les événements d'aujourd'hui m'ont poussé à changer ces plans.
Aujourd'hui est un jour de deuil et de souvenir. Nancy et moi sommes profondément attristés par la tragédie de la navette Challenger.
Nous savons que nous partageons cette douleur avec tout le peuple de notre pays. C'est une perte nationale.
Il y a dix-neuf ans, presque jour pour jour, nous avons perdu trois astronautes dans un terrible accident au sol. Mais nous n'avions jamais perdu un astronaute en vol ; nous n'avions jamais connu une tragédie comme celle-ci. Et peut-être avons-nous oublié le courage qu'il a fallu à l'équipage de la navette.
Mais eux, les Sept de Challenger, étaient conscients des dangers, les ont surmontés et ont brillamment accompli leur travail. Nous pleurons sept héros : Michael Smith, Dick Scobee, Judith Resnik, Ronald McNair, Ellison Onizuka, Gregory Jarvis et Christa McAuliffe. Nous pleurons leur perte en tant que nation unie.
Pour les familles des sept, nous ne pouvons vivre, comme vous le faites, l'impact total de cette tragédie. Mais nous ressentons la perte, et nous pensons très fort à vous. Vos proches étaient audacieux et courageux, et ils avaient cette grâce particulière, cet esprit spécial qui dit : "Donne-moi un défi, et je le relèverai avec joie."
Ils avaient une soif d'explorer l'univers et de découvrir ses vérités. Ils voulaient servir, et ils l'ont fait. Ils nous ont tous servis. Nous nous sommes habitués aux merveilles de ce siècle. Il est difficile de nous émerveiller. Mais pendant 25 ans, le programme spatial des États-Unis a fait exactement cela. Nous nous sommes habitués à l'idée de l'espace, et peut-être oublions-nous que nous en sommes qu'aux débuts. Nous sommes toujours des pionniers. Eux, les membres de l'équipage de Challenger, étaient des pionniers.
Et je veux dire quelque chose aux écoliers américains qui regardaient la couverture en direct du décollage de la navette. Je sais que c'est difficile à comprendre, mais parfois des événements douloureux comme cela se produisent. Cela fait partie du processus d'exploration et de découverte, il faut prendre des risques afin d’élargir les horizons de l'homme. L'avenir n'appartient pas aux pusillanimes ; il appartient aux courageux. L'équipage de Challenger nous poussait vers l'avenir, et nous continuerons à les suivre.
J'ai toujours eu une grande foi et un grand respect pour notre programme spatial, et ce qui s'est passé aujourd'hui ne le diminue en rien. Nous ne cachons pas notre programme spatial. Nous ne gardons pas de secrets et ne dissimulons rien. Nous le faisons tout ouvertement et publiquement. C'est ainsi que fonctionne la liberté, et nous ne la changerions pas pour un instant. Nous poursuivrons la conquête spatiale. Il y aura plus de vols de navette et plus d'équipages de navette et, oui, plus de volontaires, plus de civils, plus d'enseignants dans l'espace.
Rien ne se termine ici ; nos espoirs et nos voyages continuent. Je tiens à ajouter que j'aimerais pouvoir parler à chaque homme et chaque femme qui travaille pour la NASA ou qui a travaillé sur cette mission et leur dire : "Votre dévouement et votre professionnalisme nous ont émus et impressionnés depuis des décennies. Et nous connaissons votre tourment. Nous le partageons."
Il y a une coïncidence aujourd'hui. Il y a 390 ans jour pour jour, le grand explorateur Sir Francis Drake est mort à bord de son navire au large des côtes du Panama. De son vivant, les grandes frontières étaient les océans, et un historien a ensuite dit : "Il vivait près de la mer, y est mort et enterré." Eh bien, aujourd'hui, nous pouvons dire de l'équipage de Challenger : Leur dévouement était, comme celui de Drake, total.
L'équipage de la navette spatiale Challenger nous a honorés par la manière dont ils ont vécu leur vie. Nous ne les oublierons jamais, ni le dernier instant où nous les avons vus, ce matin-là, alors qu'ils se préparaient pour leur voyage et nous disaient au revoir. Ils "quittaient les contraintes terrestres" pour "toucher le visage de Dieu".
Ce discours de moins 5 minutes restera dans les mémoires. Reagan semble touché par la tragédie. Il faut dire que le texte écrit par Peggy Nooman (la plume du président) fait mouche.
Mais parle-t-il vraiment de la perte des 7 astronautes ?
C’est moins le discours d’une tragédie aéronautique qu’une ode à l’Amérique et à ses valeurs. Le programme spatial et les astronautes conquièrent l’espace comme les pionniers européens les terres de l’ouest américain.
Au fond, Reagan parle ici du mythe fondateur des États-Unis. C’est sans doute pour cela qu’il fait partie des grands discours de sa présidence.
(Merci à Olivier, ami et lecteur, de m’avoir poussé ce discours. N’hésitez pas à proposer des sujets en réponse à ce mail.)
Morale de l’Histoire
Reagan humanise son discours en évoquant sa femme au début de sa prise de parole. L’arrière-plan montre des photos de famille. Le message ? Le Président américain, un “type” comme les autres.
Il prend un pas de recul pour remettre ce drame dans le contexte du projet le plus ambitieux de l’Humanité.
Il en profite pour rappeler les valeurs de son pays de transparence et de liberté. On peut y entendre en creux une critique du régime soviétique, sur la fin en 1986, mais toujours existant.
Il est marquant de constater qu’il a un mot pour chacun, y compris les enfants venus assister au lancement.
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C'est très bien et très précis.