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Promenez-vous le long du canal de la magnifique ville de SĂšte. Quai du Bosc exactement.
Câest ici que le GYSS est accostĂ©. Câest un bateau comme les autres, en bon Ă©tat certes mais pas particuliĂšrement luxueux. Câest la derniĂšre embarcation de Brassens. Ne vous jetez pas dans le dictionnaire pour savoir ce que veut dire GYSS. Câest tout simplement les initiales de Georges, Yves (son beau-frĂšre), Simone (sa sĆur) et Serge (son neveu). On imagine volontiers le chanteur prendre le large avec ou sans ses amis, en totale libertĂ©.
Car Brassens aime la liberté comme le marin adore la mer.
Soutien du mouvement anarchiste avec lequel il nâa jamais rompu, Ă©ditorialiste au sein du journal Le Libertaire, fondĂ© entre autres par Louise Michel, Brassens va Ă©crire, abritĂ© derriĂšre sa moustache et son air goguenard, une Ćuvre poĂ©tique et musicale pour la libertĂ© et contre tout ce qui peut lâentraver.
Lâanarchie est la plus haute expression de lâordre.
Ăpigraphe du journal Le Libertaire
Brassens lâanarchiste
Imaginons le thĂ©orĂšme suivant : on mesure la libertĂ© dâun personnage Ă la rĂ©probation quâelle provoque en haut lieu. Appliquons-le Ă Brassens pour constater quâil est le champion toutes catĂ©gories du nombre de chansons censurĂ©es.
Chaque album a sa chanson interdite. Il nây a pas que Le Gorille : HĂ©catombes, Le pornographe, Le temps ne fait rien Ă lâaffaire, Le mauvais sujet repenti, Marinette, Les trompettes de la renommĂ©e, Putain de toi, La complainte des filles de joie, VĂ©nus Callipyge, La femme dâHector et mĂȘme Les copains dâabord !
12 chansons Ă©vacuĂ©es des playlists des radios pour diverses raisons : un gros mot⊠trop gros, une critique trop radicale de lâautoritĂ© ou lâatteinte aux bonnes mĆurs.
Ses rĂ©cidives prouvent bien quâau fond il sâen fout.
Car le SĂ©tois est allergique Ă toute forme dâautoritĂ© :
Je suis anarchiste au point de toujours traverser dans les clous pour ne pas avoir à discuter avec la maréchaussée.
Pas une institution nâĂ©chappe Ă ses moqueries. La gendarmerie Ă ce titre est bien servie :
Oui, les gendarmes sont utiles ; quâen consĂ©quence, la rumeur publique cesse de colporter de pareilles fadaises : le temps nâest plus Ă la plaisanterie. Cependant, il est un point sur lequel nous tombons dâaccord avec la susdite rumeur. Lorsquâelle prĂ©tend que, pour faire son chemin dans la profession de pandore, il nâest point besoin dâavoir Ă sa disposition un intellect perfectionnĂ©.
Ădito de Georges Brassens dans Le Libertaire
La chanson (censurée donc) Hécatombe nous en peint un tableau peu reluisant.
Il sâexpliquera dans un entretien :
Ce nâest pas le gendarme lui-mĂȘme, câest ce quâil reprĂ©sente. Câest la loi qui me gĂȘne ; en rĂ©alitĂ©, câest la loi. Si un jour on vivait sans loi, je serais trĂšs heureux. On peut ĂȘtre un gendarme et ĂȘtre un brave homme ou une franche crapule.
Notons au passage que cette explication de texte, beaucoup plus douce que les saillies de son Ćuvre, est sans doute influencĂ©e par la gĂ©nĂ©rositĂ© dâune brigade de gendarmerie qui organisa un don du sang afin de sauver la propre mĂšre de Brassens. Le chanteur les remercia en versant Ă la brigade la recette dâun rĂ©cital⊠Et en sâabstenant de critiquer par la suite la marĂ©chaussĂ©e.
Câest quâil y a tant dâinstitutions sur lesquelles il peut taper : la justice, lâĂglise, lâarmĂ©e. MĂȘme le mariage lui inspire lâune de ses plus belles chansons.
Ma mie de grĂące ne mettons
Pas sous la gorge Ă Cupidon
Sa propre flĂšche
Tant d'amoureux l'ont essayé
Qui, de leur bonheur, ont payé
Ce sacrilĂšge
Brassens le solitaire
La fameuse chanson Les copains dâabord est une commande dâYves Robert pour son film âLes copainsâ.
DaniĂšle Delorme avait enregistrĂ© sur un magnĂ©tophone Georges Brassens en train de donner naissance Ă lâune des versions de la chanson, parmi la dizaine quâil concocta. « On lâentend hĂ©siter, chercher le bon tempo. CâĂ©tait trĂšs Ă©mouvant dâassister Ă la fabrication dâune chanson qui allait faire le tour du monde. Brassens avait demandĂ© Ă Yves sâil pouvait en conserver les droits. âBien sĂ»r,âlui rĂ©pondit-il, âcar elle risque dâĂȘtre plus cĂ©lĂšbre que mon film !â »
Brassens, Le mécréant de Dieu, Jean-Claude Lamy
Cette hĂ©sitation est peu habituelle chez le chanteur. Cet excellent podcast sur la philosophie de Brassens Ă©met lâhypothĂšse que le SĂ©tois hĂ©site peut-ĂȘtre car il nâaime pas cette chanson et son message.
Rien ne lui est plus Ă©tranger que la notion de clan ou de militantisme. Cette communautĂ© oĂč tout le monde pense la mĂȘme chose et peut devenir dangereux Ă lâoccasion. Le libertaire nâaime donc pas les grands rassemblements, mĂȘme en faveur des libertĂ©s comme les manifestations de Mai 68. Il a dĂ©testĂ© cette pĂ©riode et beaucoup lui ont reprochĂ© de ne pas avoir soutenu la cause.
Quelque chose me dit que Mourir pour des idĂ©es a germĂ© dans sa tĂȘte et sa guitare Ă ce moment-lĂ .
Mourir pour des idées
L'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue
Car tous ceux qui l'avaient
Multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
On retrouve entre les lignes cette philosophie dans la chanson La tondue oĂč il se reproche de ne pas ĂȘtre intervenu alors quâil assistait Ă la tonte dâune jeune femme Ă la LibĂ©ration :
Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur
En quatre m'ont fait peur
Alors, on ne sâĂ©tonnera pas dâapprendre que Brassens se montre sĂ©vĂšre avec le patriotisme (Les gens qui sont quelque part, Les deux oncles) totalement contraire Ă lâindividualisme âserein, contemplatif, tĂ©nĂ©breux, bucoliqueâ quâil revendique.
Au fond, câest lui qui rĂ©sume le mieux sa pensĂ©e en deux vers dans Le pluriel :
Le pluriel ne vaut rien Ă l'homme et sitĂŽt qu'on
Est plus de quatre, on est une bande de cons
Brassens le mécréant
On pourrait croire Brassens totalement hermĂ©tique Ă la question de Dieu. Ce nâest pas le cas. Dieu est prĂ©sent dans Lâauvergnat (Qu'il te conduise Ă travers ciel Au pĂšre Ă©ternel) et bien sĂ»r dans son adaptation du poĂšme de Françis James Je vous salue Marie.
Il sâen explique :
Je suis un homme qui vit dans un certain monde, dans un certain milieu, avec des gens qui croient, dâautres qui ne croient pas, dâautres qui ne croient plus et dâautres qui se mettent Ă croire. Alors je parle de Dieu dans mes chansons. Certains sâen sont Ă©tonnĂ©s, puisque je ne crois pas.
Mais Dieu, les gens qui mâentourent sont imprĂ©gnĂ©s de lâidĂ©e de Dieu, de la morale chrĂ©tienne. Et puis, il y a dans la morale chrĂ©tienne, qui a Ă©tĂ© la mienne longtemps, beaucoup de choses que jâapprouve. Jâai une morale qui emprunte un peu Ă la morale chrĂ©tienne, un peu Ă la morale anarchique. Jâai pris un peu tout ce qui mâa semblĂ© ĂȘtre valable pour moi dans les diffĂ©rentes morales que jâai rencontrĂ©es. Cela ne veut pas dire quâil faille suivre mon chemin.
Mais son athĂ©isme est-il si solide ? Au fond de lui, Brassens est-il aussi athĂ©e quâil ne le revendique dans Le mĂ©crĂ©ant ? Il semble hĂ©siter Ă la fin de sa vie sur la question :
Alors pour moi, qui suis, enfin, qui crois ĂȘtre athĂ©e, qui crois ne pas croire, je pense que la mort est cessation de la vie et que je rentrerai dans le nĂ©ant oĂč jâĂ©tais pendant la guerre de 14, ou pendant la guerre de 70, oĂč jâĂ©tais en 1515.
Est-ce que ce doute lâapaise alors quâil se sait malade ?
Quâelle est belle la libertĂ©
Car tout individualiste quâil est, rejetant toute autoritĂ©, toute loi, Brassens a dĂ» tout de mĂȘme se plier Ă la seule loi universelle : la mort. Il nous quitte le 29 octobre 1981 aprĂšs avoir longtemps dialoguĂ© avec la Camarde dans ses chansons : Supplique pour ĂȘtre enterrĂ© Ă la Plage de SĂšte, Le fossoyeur, Trompe la mort⊠Ou encore lâhistoire de lâOncle Archibald que la mort sĂ©duit :
Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera
Plus facile
Tu y seras hors de portée
Des chiens, des loups, des hommes et des
Imbéciles
La contrepartie de la libertĂ© est bien souvent dâĂȘtre Ă la marge et esseulĂ©. Il aurait donc pu troquer sa libertĂ© pour plaire au public (Les trompettes de la renommĂ©e). Il ne le fit pas.
Au fond, le gĂ©nie de Brassens est dâavoir eu (et dâavoir toujours) des millions dâadmirateurs tout en Ă©tant restĂ© libre et fidĂšle Ă lui-mĂȘme. DâĂȘtre solitaire et entourĂ©.
Quand c'en est fini des malheurs
Quand un ami sĂšche vos pleurs
Qu'elle est belle la liberté, la libertéHeureux qui comme Ulysse
Sources et inspirations :
Brassens, Le mécréant de Dieu, Jean-Claude Lamy
Podcast âLa philosophie de Georges Brassensâ
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âAlexandre
Ah, le grand Brassens ! Impossible de voyager autour de lâEtang de Thau, dâapercevoir au loin la colline Saint Clair Ă SĂšte, oĂč il repose, sans penser Ă Brassens. Merci pour ce bel hommage et un article trĂšs intĂ©ressant que je viens de repartagĂ© (un pâtit ârestackâ quoi!)