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Louise Michel, la Passionaria trompe-la-mort
À la fin de son procès en décembre 1871, Louise Michel s’adresse à ses juges :
Puisqu'il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n'a droit aujourd'hui qu'à un peu de plomb, j'en réclame ma part, moi !
Celle que l’on appelle la Vierge Rouge s’attend à être condamnée à mort. Ça ne sera pas le cas. Mais il faut croire que le plomb a la mémoire des rendez-vous manqués.
17 ans après cette déclaration, ce 22 janvier 1888, alors qu’elle participait à un meeting au Havre, le royaliste Pierre Lucas sort un pistolet et lui tire deux balles en pleine tête. Elle trouve tout de même l’énergie nécessaire pour “protéger” son bourreau de la violence de ses amis.
La première balle a frôlé le lobe de l’oreille et l’autre a bel et bien atterri dans son crâne. Si profondément qu’il est impossible de l’extraire.
Louise Michel foutue ?
Pensez donc.
Elle vivra 16 années avec ce souvenir pas banal dans la tête. Un épisode à faire rougir de jalousie Bruce Willis dans Die Hard. Une nouvelle fois la mort n’a pas honoré son rendez-vous avec Louise, elle qui l’a pourtant si souvent regardée en face.
Mais qui est Louise Michel ? Pourquoi juge-t-on cette institutrice ?
C’est d’abord la femme la plus connue de l’épisode de la Commune de Paris. La Commune, c’est l’instruction des parisiens contre l’armistice de janvier 1 871 et contre le gouvernement d’Adolphe Thiers, réfugié à Versailles.
Voici son pedigree selon le conseil de guerre réuni après la fin de la Commune :
Notre avis est qu’il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour :
1- Attentat ayant pour but de changer le gouvernement ;
2- Attentat ayant pour but d’exciter à la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres ;
3- Pour avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes et un uniforme militaire, et fait usage de ces armes
4- Faux en écriture privée par supposition de personne ;
5- Usage d’une pièce fausse ;
6- Complicité par provocation et machination d’assassinat des personnes retenues soi-disant comme otages par la commune
7- Complicité d’arrestations illégales, suivies de tortures corporelles et de morts, en assistant avec connaissance les auteurs de l’action dans les faits qui l’ont consommée
Louise Michel est en première ligne le jour de son procès. Comme elle l’a toujours été pendant la Commune.
En première ligne le 22 janvier lors d’une des premières manifestations. C’est bien elle qui tire la première sur l’Hotel de Ville.
En première ligne le 17 mars quand les troupes versaillaises du général Lecomte, venues récupérer les canons parisiens sur la butte Montmartre, refusent de tirer sur la foule et sympathisent avec les parisiens.
En première ligne lors des batailles de Clamart, Issy-les-Moulineaux et Neuilly.
En première ligne toujours lors de la semaine sanglante du 21 mai 1871 qui fera plus de 20 000 morts côté insurgés et mettra fin à la Commune.
Elle se rend finalement pour faire libérer sa mère. Elle est enfermée au camp de Satory près de Versailles où ses camarades sont petit à petit exécutés froidement. Elle réclame la mort.
Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire : eh bien ! Le commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces…
Elle ne l’obtiendra pas. Cap vers le bagne et la Nouvelle-Calédonie.
Cela nous amène à la deuxième identité de Louise Michel : l’auteure. Sous la violence de la révolutionnaire se cache une vraie écrivaine.
Voici un extrait de ses Mémoires. Elle y raconte comment l’aventure de la Commune s’est arrêtée pour elle :
J’échappais toujours à tout, je ne sais comment ; enfin, ceux qui voulaient m’avoir emmenèrent ma mère pour la fusiller, si on ne me trouvait pas. J’allai la faire mettre en liberté en prenant sa place. Elle ne voulait pas, la pauvre chère femme ; il me fallut bien des mensonges pour la décider ; elle finissait toujours par me croire.
J’obtins ainsi qu’elle retourna chez elle.
C’était près du chemin de fer de Montmartre, au bastion 37 ; là était le dépôt des prisonniers.
Les fragments de papiers brûlés, venant de l’incendie de Paris, arrivaient jusque-là comme des papillons noirs.
Au-dessus de nous, flottait, en crêpe rouge, l’aurore de l’incendie.
Tout au long de sa vie, elle n’a jamais cessé d’écrire. En toutes circonstances. Ainsi, elle écrit des poèmes pendant le long trajet vers la Nouvelle-Calédonie. Là-bas, elle y écrit des chansons, lance même un journal et planche sur des études botaniques. Est-ce le remède nécessaire à un esprit perpétuellement “inflammé” par une violente révolte ? L’écriture est une bonne thérapie. Louise Michel l’a sans doute compris :
« Monsieur, il faut que je vous écrive pour souffrir moins. » Lettre de Louise Michel
Une remise de peine lui permet de revenir sur le sol français. Personne n’a oublié Louise Michel. Plus de 10 000 personnes l’attendent Gare Saint-Lazare ce 9 novembre 1880. Parmi eux peut-être un certain Victor Hugo. Il nous amène à la troisième identité de la Vierge Rouge.
Enjolras est un personnage des Misérables. C’est aussi le nom de plume de Louise Michel. Voici son portrait dans Les misérables :
On eût dit, à voir la réverbération pensive de son regard, qu'il avait déjà, dans quelque existence précédente, traversé l'apocalypse révolutionnaire. Il en avait la tradition comme un témoin. Il savait tous les petits détails de la grande chose. Nature pontificale et guerrière, étrange dans un adolescent. Il était officiant et militant ; au point de vue immédiat, soldat de la démocratie ; au-dessus du mouvement contemporain, prêtre de l'idéal.
C’est avec ce nom de plume que l’institutrice commence une correspondance dès 1 851. Victor Hugo lui dédiera Viro major dont voici un extrait :
Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre juive, Arria la romaine,
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers : J'ai brûlé les palais !
Tu glorifiais ceux qu'on écrase et qu'on foule ;
Tu criais : J'ai tué, qu'on me tue ! Et la foule
Écoutait cette femme altière s'accuser.
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton œil fixe pesait sur les juges livides,
Et tu songeais, pareille aux graves Euménides.
La pâle mort était debout derrière toi.
Avec Victor Hugo, Louise Michel trouve un mentor avec qui partager ses idées et ses pensées les plus secrètes. L’écrivain lui répond depuis Hauteville House, sa résidence d’exil à Guernesey. Il semble trouver dans l’institutrice un alter ego. Leur relation se terminera avec la mort de l’auteur de 1 793.
Fin 1904, Louise Michel souffre d’une pneumonie. Elle a survécu aux balles des Versaillais, au bagne, à quelques années de prison supplémentaires à cause de ses activités de militante anarchiste, à une balle dans la tête.
Mais cette fois-ci, ce 9 janvier 1905, Louise ne manqua pas le rendez-vous.
Sources :
« Rebelles ! 12 femmes extraordinaires », Julien Chavanes
« Louise Michel, femme tempête », France Culture
Morale de l’Histoire :
Louise Michel est toujours en première ligne. Cela force le respect de tous et lui donne un statut de meneuse indéniable.
L’écriture joue un rôle fondamental : c’est sans doute une des clés de sa résilience. Écrire pour moins souffrir dans son cas, moins souffrir du présent pour mieux embellir l’avenir.
Elle a semble-t-il cherché des mentors tout au long de sa vie. Blanqui, Ferré et Hugo entre autres. Elle fait évoluer ses idées à leur contact ce qui va petit à petit l’amener à l’anarchisme.
Coup de cœur
J'ai assisté à la conférence d'Etienne Klein lors des Open Tech Days Orange. Je recommande vivement de la voir pour sa conclusion très pertinente.
Le replay est ici (17e minute pour le début de la conférence).
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