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Prolonger les idées de son temps comme l’Abbé Grégoire
On remarque un siège vide dans l’assemblée ce 12 décembre 1989 alors que les cendres de l’Abbé Grégoire sont transférées au Panthéon. Son propriétaire ne partage pas l’hommage que la nation lui rend.
C’est que la vie du prélat est en surface la collection d’une longue série de contradictions.
Il est à la fois homme d’Église et un soutien de la révolution. Il est à la fois l’homme des grandes causes humanistes et l’ami du cruel Robespierre. Son rôle politique et sa qualité d’Évêque devaient faire de lui une des victimes de la Terreur. Que nenni ! Il meurt à 80 ans en 1831.
Il est le Diable pour certains, un esprit éclairé pour d’autres. Avouez que ce n’est pas banal !
Son parcours nous pose finalement une question : peut-on rester un honnête homme assumant ses opinions et les partageant publiquement quand elles peuvent vous amener à l’échafaud ?
Mais d’abord, comment Henri Grégoire, puisque c’est son nom, s’est-il retrouvé aux premières loges de l’Histoire française ?
Sa chance est d’avoir été élu député du clergé en mars 1789 et d’avoir donc rejoint un peu plus tard les États généraux.
« Il se fait rapidement remarquer : secrétaire de l’Assemblée constituante, il en est le président le 14 juillet. Le 27 décembre, il est le premier prêtre à monter à La Tribune de l’Assemblée pour prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé sanctionnée par Louis XVI mais condamnée par le pape Pie VI. » Françoise Hildesheimer dans le numéro 905 de la revue Historia
Il fâche donc sa hiérarchie en embrassant la cause révolutionnaire. C’est le début de l’éternelle brouille mais aussi celui de sa légende. Celle qui lui vaudra les honneurs de la République 200 ans après.
Car l’Abbé Grégoire a su prolonger plus vite que ses contemporains les idées de la Révolution.
Par exemple, avant même sa participation aux États généraux, il rédige un « Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs » qui contrairement à ce que le titre peut faire penser, est un plaidoyer pour l’égalité politique en faveur des juifs alors persécutés partout en Europe.
« Les Juifs sont membres de cette famille universelle qui doit établir la fraternité entre tous les peuples et sur eux, comme sur vous, la révélation étend son voile majestueux. Enfants du même père, dérobez tout prétexte à l’aversion de vos frères, qui seront un jour réunis dans le même bercail ; ouvrez-leur des asiles ou ils puissent tranquillement reposer leurs têtes et sécher leurs larmes, et qu’enfin le Juif, accordant au Chrétien un retour de tendresse, embrasse en moi son concitoyen et son ami. »
Il sera entendu puisque la France accorde aux juifs la pleine égalité de droit en 1791. Une première en Europe.
Toujours selon la même ligne de conduite, l’Abbé Grégoire prend position contre l’esclavage et en défendra l’abolition toute sa vie, heurtant l’intérêt d’un bon nombre de députés de la Convention.
Ainsi peut-on lire dans « De la littérature des nègres » (sic… Désolé pour les sensivity readers en PLS à la lecture du titre) un bien triste bilan :
« Depuis trois siècles, les tigres et les panthères sont moins redoutables que vous pour l'Afrique. Depuis trois siècles, l'Europe, qui se dit chrétienne et civilisée, torture sans pitié, sans relâche, en Amérique et en Afrique, des peuples qu'elle appelle sauvages et barbares. Elle a porté chez eux la crapule, la désolation et l'oubli de tous les sentiments de la nature, pour se procurer de l'indigo, du sucre, du café. »
Il résume sa ligne de conduite en conclusion de son ouvrage :
« Chacun apporte, en naissant, son titre à la liberté ; les conventions sociales en ont circonscrit l'usage, mais la limite doit être la même pour tous les membres de la cité, quelle que soient leur origine, leur couleur, leur religion. Si vous avez droit de rendre un autre homme esclave, il a droit de vous rendre esclave ; et si l'on n'a pas droit de le vendre, personne n'a le droit de L'acheter. »
Selon Rita Hermon-Belot, spécialiste de la Révolution Française, l’Abbé Grégoire est convaincu que « les races n’existent pas » à l’heure où se développent a contrario « des pseudosciences comme la craniologie, qui essaient de montrer qu’il y a des groupes humains très différents les uns des autres ».
Plus polémique aujourd’hui, l’Abbé Grégoire rédige en 1794 un rapport sur « la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser la langue française » (décidément, l’Abbé Grégoire n’a pas le sens du titre).
Alors creusons pour voir ce qu’il nous dit :
« C’est surtout vers nos frontières que les dialectes, communs aux peuples des limites opposées, établissent avec nos ennemis des relations dangereuses, tandis que dans l’étendue de la République tant de jargons sont autant de barrières qui gênent les mouvements du commerce, et atténuent les relations sociales. Par l’influence respective des mœurs sur le langage, du langage sur les mœurs ; ils empêchent l’amalgame politique, d’un seul peuple en font trente. Cette observation acquiert un grand poids, si l’on considère que, faute de s’entendre, tant d’hommes se sont égorgés, et que souvent les querelles sanguinaires des nations, comme les querelles ridicules des scolastiques, n’ont été que de véritables logomachies. Il faut donc que l’unité de langue entre les enfants de la même famille éteigne les restes des préventions résultantes des anciennes divisions provinciales, et resserre les liens d’amitié qui doivent unir des frères. »
Il s’agit donc pour lui d’unifier le peuple par la langue dans la France aux mille patois du 18ème siècle. Il s’agit aussi pour la République d’avoir des concitoyens à même de comprendre la loi et de ne pas créer des Français de seconde zone enfermés dans leur dialecte sans accès aux savoirs des élites. C’est indéniablement un de ses faits d’armes qui lui sont aujourd’hui reprochés mais une lecture plus proche du contexte de l’époque calme un peu la polémique.
Au fond, l’Abbé Grégoire est resté fidèle toute sa vie à l’Église et à ses idées encore plus révolutionnaires que la Révolution. Beaucoup de ses combats ont porté leur fruit comme l’universalisme des droits de l’homme et l’abolition de l’esclavage. Il a su « rester vivant » pendant la Terreur sans jamais désavouer sa foi.
Cela a failli lui coûter sa tête littéralement. En plein mouvement de déchristianisation, plusieurs députés ecclésiastiques sont contraints de renoncer à leurs fonctions religieuses et acceptent sous la pression de reconnaître le Culte de la Raison, sorte de religion de remplacement issue de la philosophie des Lumières. Le député Grégoire lui, refuse de se plier aux injonctions de la Convention.
Il déclare :
« Catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été délégué par le peuple pour être évêque, mais ce n'est ni de lui, ni de vous que je tiens ma mission. J'ai consenti à porter le fardeau de l'épiscopat dans le temps où il était entouré d'épines ; on m'a tourmenté pour l'accepter ; on me tourmente aujourd'hui pour me forcer à une abdication qu'on ne m'arrachera jamais… ; j'invoque la liberté des cultes. »
Courageux à n’en pas douter.
Pourtant, les autorités catholiques ont choisi d’ignorer la bravoure et l’humanisme du prélat éclairé. Il reste pour elles un dissident. C’est pourquoi ce 12 décembre 1989 le siège de Monseigneur Lustiger restera vide. La brouille dure toujours.
Comment dit-on déjà ?
« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »
Sources :
Concordance des temps avec Rita Hermon-Belot
🧠 Matière à penser
L’Abbé Grégoire, n’était pas parfait et certaines de ses prises de position, sur le rôle des femmes notamment, nous choquent légitimement. L’Abbé Grégoire était macho. Mais il a le mérite d’avoir poussé plus loin la réflexion sur certaines causes.
Qu’elles sont les idées qui vous entourent qui méritent d’être prolongées ? Quelles sont les causes orphelines qui ont besoin d’être incarnées ?
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