Fernand Braudel : Qu'est-ce que le capitalisme ?
C'est le sommet d'une fusĂ©e Ă trois Ă©tages. Comment ça, ce nâest pas clair ?
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Certains historiens osent sortir de leur discipline pour donner une vision plus complĂšte de leur sujet. Ils enrichissent leurs Ă©crits avec la sociologie, la gĂ©ographie ou lâĂ©conomie afin de proposer une analyse globale.
Câest le cas de Fernand Braudel, historien cĂ©lĂšbre du XXe siĂšcle. Je devrais Ă©crire gĂ©ohistorien. Chez lui, la gĂ©ographie et lâhistoire sont imbriquĂ©es. Et lâĂ©conomie nâest jamais loin.
Ses Ćuvres majeures comme Civilisation matĂ©rielle, Ă©conomie et capitalisme sont des beaux bĂ©bĂ©s de plus de 1 000 pages. Une exception cependant : le livre qui mâa servi de support pour cette Ă©dition : La dynamique du capitalisme. Ce petit ouvrage de 100 pages rĂ©sume les grandes idĂ©es de Braudel sur le capitalisme.
Braudel fait part de son analyse sur la définition du capitalisme, de sa création, de son développement. Pour cela il revient sur trois concepts clés, comme autant de strates invisibles de notre monde.
La vie matérielle
Ce sont les habitudes des gens, leurs interactions avec les techniques, avec leur environnement, ou encore leurs façons de se loger.
C'est du quotidien que je suis parti, de ce qui, dans la vie, nous prend en charge sans mĂȘme que nous le sachions : l'habitude - mieux, la routine -, mille gestes qui fleurissent, s'achĂšvent d'eux-mĂȘmes, et vis-Ă -vis desquels nul n'a Ă prendre de dĂ©cision, qui se passent, au vrai, hors de notre pleine conscience. Je crois l'humanitĂ© plus qu'Ă moitiĂ© ensevelie dans le quotidien.
Il nây a pas forcĂ©ment dâinteraction Ă©conomique dans cette vie matĂ©rielle. Sâil y en a, câest sous forme dâĂ©changes hyperlocalisĂ©s au sein dâun mĂȘme village par exemple. Nous sommes dans le monde de la valeur dâusage et non dans celui de la valeur marchande. Elle inclut les gestes liĂ©s Ă lâautoconsommation comme lâexploitation dâun potager par exemple.
C'est dire qu'il n'est pas facile de cerner l'immense royaume de l'habituel, du routinier, « ce grand absent de l'histoire ». En réalité, l'habituel envahit l'ensemble de la vie des hommes, s'y diffuse comme l'ombre du soir remplit un paysage.
Cette vie matĂ©rielle est au fond la base qui va limiter ou ouvrir les possibilitĂ©s offertes par les Ă©tages 'âsupĂ©rieursâ de lâĂ©conomie. Dâautant que ce monde dâhabitudes a la vie dure et Ă©volue lentement.
LâĂ©conomie de marchĂ©
LâĂ©conomie de marchĂ© est « la liaison, le moteur, la zone Ă©troite mais vive dâoĂč jaillissent les indications, les forces vives, les initiatives, les prises multiples de conscience, les croissances et mĂȘme les progrĂšs ».
Câest ici que commencent les transactions Ă©conomiques Ă la couverture gĂ©ographique plus large. Cela peut se faire dans le cadre de foires ou mieux de bourses. Les volumes dâaffaires Ă©tant plus consĂ©quents, les prix commencent Ă ĂȘtre dĂ©pendants du rapport entre lâoffre et la demande.
GrĂące Ă cela, certaines villes se transforment en centres Ă©conomiques majeurs, Ă l'exemple de Venise au dĂ©but de la Renaissance, puis de GĂȘnes au XVe siĂšcle, d'Anvers au XVIe siĂšcle, d'Amsterdam au XVIIe siĂšcle, de Londres Ă partir du XVIIIe siĂšcle et de New York au XXe siĂšcle. Ces villes sont le coeur de l'activitĂ© Ă©conomique, ce qui conduit Braudel Ă dĂ©velopper le concept d'Ă©conomie-monde.
Par Ă©conomie-monde, mot que jâai forgĂ© Ă partir du mot allemand de Weltwirschaft, j'entends l'Ă©conomie d'une portion seulement de notre planĂšte, dans la mesure oĂč elle forme un tout Ă©conomique.
Câest âun espace gĂ©ographie donnĂ©â oĂč il existe toujours une âville centreâ, une capitale Ă©conomique autour de laquelle il existe des zones successives comme les halos de vaguelette produits par la pierre qui tombe dans lâeau.
Ces Ă©conomies-monde vont sâinterconnecter. Cela nous amĂšne Ă la troisiĂšme strate, le capitalisme.
Le capitalisme
Il se diffĂ©rencie de lâĂ©conomie de marchĂ© sur trois points au moins :
Il ne se rĂ©duit pas aux Ă©conomies monde. Au contraire, il les relie. Si le poivre que jâachĂšte Ă la RĂ©union est trop cher, je peux me tourner vers lâInde afin de maximiser mon profit. Il suffit pour le marchand de âchanger son fusil dâĂ©pauleâ. Si une marchandise nâest pas disponible dans lâĂ©conomie au sein de laquelle jâĂ©volue, je peux me la procurer autre part sur la planĂšte.
Ce faisant, il trouve sa valeur ajoutĂ©e en Ă©loignant le producteur du consommateur car câest grĂące Ă ses moyens (flotte maritime par exemple) quâil est capable de vendre certains produits que lâĂ©conomie de marchĂ© ne peut proposer.
En allant chercher lâexclusivitĂ© dans dâautres contrĂ©es, le capitalisme nâa pas pour but le dĂ©veloppement de la concurrence mais au contraire celui du monopole, toujours favorable Ă lâaccumulation de richesse.
Cette accumulation de richesse ne peut se faire sans une certaine bienveillance de la société et du pouvoir :
Ainsi l'Ătat moderne, qui n'a pas fait le capitalisme mais en a hĂ©ritĂ©, tantĂŽt le favorise et tantĂŽt le dĂ©favorise ; tantĂŽt il le laisse s'Ă©tendre, tantĂŽt il en brise les ressorts. Le capitalisme ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'Ătat, qu'il est l'Ătat. Dans sa premiĂšre grande phase, dans les villes-Ătats d'Italie, Ă Venise, Ă GĂȘnes, Ă Florence, c'est l'Ă©lite de l'argent qui tient le pouvoir.
En Hollande, au XXVIIe siĂšcle l'aristocratie des RĂ©gents gouverne dans l'intĂ©rĂȘt et mĂȘme selon les directives des hommes d'affaires, nĂ©gociants ou bailleurs de fonds. En Angleterre, la rĂ©volution de 1688 marque pareillement un avĂšnement des affaires Ă la hollandaise.
La France est en retard de plus d'un siÚcle : c'est avec la révolution de Juillet, en 1830, que la bourgeoisie d'affaires s'installe enfin confortablement au gouvernement.
Au fond, si lâĂ©conomie de marchĂ© est un marchĂ© public, le capitalisme en Ă©tant son contraire, nâest pas pour autant QUâun marchĂ© privĂ©. Car ses rĂšgles sont contraires Ă celles de lâĂ©conomie de marchĂ©.
Braudel nous amĂšne ainsi Ă une conclusion Ă©tonnante.
Le capitalisme est âun anti-marchĂ©â.
Source :
Dynamique du capitalisme, Fernand Braudel, Champs Histoire
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âAlexandre
« Je crois l'humanitĂ© plus qu'Ă moitiĂ© ensevelie dans le quotidien. » câest bien vrai. Merci pour cette belle dĂ©couverte!