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Que trouve-t-on dans la bibliothèque de Napoléon ? Quels sont les livres qui ont participé à sa formation intellectuelle ? Quelles influences ont eu ses lectures sur son action ? Louis Sarkozy vient de sortir un livre à la fois riche et plaisant à lire qui nous fait entrer dans la bibliothèque du personnage. C’est la source de cet article qui se concentre ici sur la première partie de la vie du jeune Bonaparte.
Dans sa bouche, le mot « infanterie » devient « enfanterie », et l’expression « point culminant » devient « point fulminant ».
Son île natale n’est devenue française que quelques mois avant sa naissance, et ce n’est pas le français, cette langue étrangère, que l’on parle à la maison, mais un dialecte corse. Pourtant, c’est cet homme au “français cassé” et à l’orthographe accidentée qui deviendra « le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine », comme l’écrit Chateaubriand en 1821.
Rien ne prédestinait Bonaparte à devenir Napoléon 1er.
Il est né en Corse à Ajaccio en 1769, entouré de sept frères et sœurs. Son père, Charles Bonaparte, est un soutien de l’indépendantiste corse Pasquale Paoli. Plus tard, il se lie avec le gouverneur français de l’île, le comte de Marbeuf. Grâce à ce dernier, Napoléon obtient une bourse et intègre le collège militaire de Brienne. Son mauvais français l’isole des autres collégiens. Il investit sa solitude dans une lecture frénétique de tout ce qui lui passe sous la main. Le petit Corse dévore l’encre et le papier.
L’Europe, la France, les guerres à venir s’écrivent sans qu’il ne le sache, au fur et à mesure de ses lectures. Dans son livre « Napoleon’s Library », Louis Sarkozy partage avec nous la liste des livres qui ont influencé le conquérant et l’empereur.
La naissance d’une ambition
Il y a d’abord Plutarque.
Plutarque est un philosophe grec du Ier siècle après Jésus-Christ. Son œuvre la plus connue est « Vies parallèles ».
Il choisit des personnages illustres de l’histoire, dresse le portrait de chacun et assemble ensuite des paires pour comparer les deux parcours. Ainsi, Romulus, le fondateur de Rome selon la légende, est comparé à Thésée, le fondateur d’Athènes.
Ici, la vie et la psychologie l’emportent sur l’Histoire :
« Parfois, une question de moindre importance, une expression ou un geste, nous renseigne mieux sur leurs caractères et inclinations que les sièges les plus célèbres, les plus grandes armées ou les batailles les plus sanglantes. »
— Plutarque
Le jeune Bonaparte s’est plongé dans l’étude de ces vies commentées par Plutarque :
« Napoléon, en grande partie grâce à Plutarque, vénérait César. Les deux hommes partageaient de nombreuses similitudes, comme Napoléon aimait le souligner. Tous deux étaient des militaires ayant un œil sur les fonctions publiques. Tous deux finirent par prendre le pouvoir par des moyens inconstitutionnels dans le but de “restaurer l’ordre” après des périodes tumultueuses. Tous deux étaient (et sont) très controversés. Tous deux vénéraient Alexandre et ses conquêtes. Tous deux sont considérés par la postérité comme des esprits militaires uniques, ayant combattu principalement sur les mêmes terres et ayant connu une fin dramatique. »
— Louis Sarkozy, « Napoleon’s Library »
L’ambition de Napoléon est née : faire aussi bien que César.
La rencontre avec les Lumières
L’un des ouvrages français les plus vendus du XVIIIe siècle porte un titre à rallonge :
« Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes. »
Son auteur est l’Abbé Raynal. Faisant appel à de nombreux contributeurs (dont Diderot), le prélat agrège dans six volumes toute l’histoire de la colonisation et de l’esclavage pour mieux les dénoncer.
Ce projet résonne dans le cœur du jeune Bonaparte, qui se sent lui-même colonisé par les Français. Ce livre ravive en lui l’esprit de revanche. Lui, le petit Corse, va faire plier les Français.
« Napoléon hérita finalement de l’Histoire la première de ses idées révolutionnaires. […] Seule la république pouvait être digne de confiance pour représenter correctement la volonté du peuple et soutenir la création d’une identité nationale. »
— Louis Sarkozy, « Napoleon’s Library »
C’est la première rencontre intellectuelle entre le futur empereur et les idées des Lumières.
Jean-Jacques Rousseau, l’idole des révolutionnaires
Il ne s’arrête pas là.
L’essai de Rousseau sur le contrat social marque également Bonaparte. Selon le philosophe, le contrat social repose sur la volonté générale. Aucun intérêt personnel ne doit la corrompre. C’est un concept assez large pour qu’une ligne de conduite tyrannique y trouve sa place. Ce sera le cas des organisateurs de la Terreur, qui n’hésitèrent pas à couper des têtes dont les propriétaires avaient, à leur goût, trop voté en fonction de leurs intérêts propres :
« Le concept de la volonté générale elle-même est une contradiction. La volonté générale est-elle une notion radicalement démocratique qui encourage les citoyens à n’obéir qu’aux lois qui s’appliquent à tous les intérêts ? Ou s’agit-il d’un dicton collectiviste répressif qui impose les intérêts du groupe à l’individu ? “Comment autrement”, demande William Bluhm à propos de la volonté générale, “certains écrivains pourraient-ils affirmer que les principes de liberté démocratique de Rousseau fournissent une description des sociétés totalitaires telles que l’Allemagne nazie, et que d’autres affirment que ces mêmes principes constituent les hypothèses de base des démocraties libérales occidentales ? »
— Louis Sarkozy, “Napoleon’s Library”
Napoléon a retenu de cette lecture l’importance d’un état central fort, à même de défendre la volonté générale et d’y chercher sa légitimité au travers du plébiscite. Ainsi pense-t-il les institutions.
Conclusion
Bien sûr, les lectures de Napoléon ne s’arrêtent pas là. Mais ces trois ouvrages ont marqué dans sa jeunesse le futur empereur. Il écrivait par exemple lui-même des romans et essais philosophiques en s’inspirant de Rousseau.
Mais l’œuvre littéraire pour laquelle il est le plus reconnu est aussi la dernière. Il passe les six dernières années de sa vie en exil sur l’île de Sainte-Hélène avec à ses côtés Emmanuel de Las Cases. Ce dernier prend chaque jour des notes sur ses conversations avec un empereur déchu certes, mais bavard. Ses cahiers, publiés deux ans après la mort de Napoléon sous le titre de « Mémorial de Sainte-Hélène », font figure de testament et se vendent par millions dans le monde entier.
À son tour donc d’être lu. À son tour d’influencer la politique des dirigeants qui lui ont succédé.
Oui, il peut le dire, quel roman que sa vie !
P.-S. : à ce propos, je vous recommande la lecture de cet article de
qui partage quelques considérations éclairantes d’intellectuels et de dirigeants sur Napoléon ⤵️Rejoignez les 800 lecteurs mensuels de Morale de l’Histoire
Sources de l’article :
Napoleon’s Library, Louis Sarkozy
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Alexandre