Raymond Aron : L'actualité de sa pensée
Quelle est l'actualité de la pensée de Raymond Aron en 2024 ? C'est la question à laquelle le Think Tank Génération Libre a tenté de répondre lors d'un colloque.
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Le Think Tank Génération Libre, fondé par le philosophe Gaspard Koening, et l’Express organisaient mardi soir un colloque dédié à Raymond Aron 40 ans après sa disparition. Invité à me présenter au 126 rue de l’université afin d’y assister, je vous propose une édition inhabituelle de cette newsletter en vous partageant mes notes ordonnées sur cette soirée passionnante.
Car Raymond Aron est un personnage qui, comme Camus ou Arendt, s’est distingué par une pensée libre et lucide sur l’homme et le monde qui l’entoure. Si c’est une figure intellectuelle de la droite et du libéralisme politique, c’est aussi et surtout un prophète qui a vite compris la vérité des régimes nazi et communiste, alertant (sans être entendu) ses contemporains sur leur vraie nature et défendant toute sa vie les libertés individuelles.
Raymond Aron plébiscité
L’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve était de la partie jeudi soir soulignant, lui l’homme de gauche, “le jugement le plus juste de son époque” et son courage qui l’amène à penser loin du troupeau.
“Que l’on soit de gauche ou de droit, on est toujours hémiplégique” Raymon Aron
David Lisnard, maire Les Républicains de Cannes tient à souligner qu’Aron était un “modéré mais pas un mou”, un homme engagé mais “trop libre pour être partisan”, un “radical mais pas un extrémiste”.
Le plébiscite d’aujourd’hui, réunissant gauche et droite, est bien à l’opposé de l’isolement dont il fut victime en son temps.
Aron le pestiféré
Nicolas Baverez, biographe du philosophe, nous rappelle son parcours intellectuel et politique.
« Comme d’habitude, je n’étais pas d’accord. Je suis donc resté solitaire. » Dans Le spectateur engagé
Séjournant en Allemagne entre 1930 et 1933, il est le témoin direct de la montée du nazisme, ce qui mettra fin au pacifisme de sa jeunesse. Il rejoint le Général de Gaulle à Londres en juin 1940 et dirige la revue La France Libre.
Journaliste au sortir de la guerre, il écrit dans Point de vue, Combat et le Figaro (il rejoindra bien plus tard l’Express). Il y dénonce le régime soviétique ce qui lui vaut d’être totalement rejeté par le monde intellectuel de l’époque, y compris par son ami Sartre (le même qui se brouillera pour les mêmes raisons avec Camus à la sortie de L’Homme révolté).
Aron sera donc reconnu internationalement mais toujours très critiqué en France pour ses positions jamais dans le sens du vent. Décidément, on est jamais prophète en son pays.
À partir des années soixante-dix, sa pensée commence à être acceptée et célébrée, lorsque la publication de l'Archipel du Goulag a rendu évident l’horreur des régimes communistes.
Les démocraties en danger perpetuelle ?
Lors de la troisième table ronde, Nicolas Baverez a partagé quatre idées d’Aron que la guerre en Ukraine a malheureusement remis au goût du jour.
Tout d’abord, si l’individu est raisonnable, les individus ne le sont pas forcément. En tout cas, Aron doute. Cela m’a fait penser à ces lignes de Brassens : “Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on est plus de quatre on est une bande de cons.”
Nous retrouvons dans la conférence L’aube de l’histoire universelle cette citation :
« Jamais les hommes n'ont eu autant de motifs de ne plus s'entretuer. Jamais ils n'ont eu autant de motifs de se sentir associés dans une seule et même entreprise. Je n'en conclus pas que l'âge de l'histoire universelle sera pacifique. Nous le savons, l'homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ? »
Ensuite, le rapport des démocraties à la guerre les amène à avoir dans un premier temps toujours une bataille de retard. C’est encore le cas en Ukraine. Le biographe nous l’explique :
“Comme [Aron] l’avait décrit, [les démocraties] sont confrontées au défi de se réarmer non seulement sur le plan militaire et technologique mais sur le plan politique, intellectuel et moral, ce qui est particulièrement difficile pour l’Europe qui s’était abandonnée à la tentation de renoncer aux armes.”
Face aux dangers venus de l’extérieur, Aron note également les fragilités intérieures qui menacent les démocraties. Il en fut le témoin au début de la seconde guerre mondiale qui a vu l’effondrement de la IIIe République en quelques jours seulement. Plus proche de nous, l’assaut du Capitol est un signe de cette fragilité.
Enfin, contre tous ces dangers, Aron, comme à son habitude imagine la solution au niveau de l’individu. C’est à lui de s’engager pour pérenniser les libertés et la démocratie :
“Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent”.
Qu’est-ce qu’une démocratie ?
Baptiste Gauthey, journaliste à l’Express, est revenu quant à lui sur les enseignements de “Démocratie et totalitarisme”.
Qu’est-ce que c’est une démocratie finalement ? Bah la loi de la majorité pas vrai hein ?
Que nenni ! La vision d’Aron est là aussi étonnante :
“Dès l’origine de l’idée démocratique, il y avait deux tendances, une tendance libérale et une tendance autoritaire, populaire, une tendance à l’autonomie des personnes et une tendance à la puissance de l’État, ou encore une tendance aux libertés individuelles et une tendance à l’égalité”.
Vous l’aurez compris, la démocratie selon Aron est libérale. Elle consiste non pas à imposer les règles de la majorité à la minorité mais au contraire à s’assurer de la liberté de tous, majorité comme minorité. En cela, la démocratie majoritaire est une fabrique du conflit, opposant majorités et minorités, alors que la démocratie tendance libérale est une fabrique du compromis amenant les acteurs à discuter entre eux.
Voilà, ce ne sont qu’une petite partie de mes notes.
Je ne sais pas si le colloque sera diffusé sur Youtube ou ailleurs, mais si vous souhaitez approfondir, je vous encourage à télécharger "Raymond Aron - L’actualité de sa pensée 40 ans après sa mort" sur le site du Think Tank ou à obtenir la version papier. L’ouvrage (collectif) est riche en points de vue sur l’œuvre de l’intellectuel.
Cela fait une très bonne porte d’entrée dans son univers.
Quelques ouvrages cités régulièrement lors des tables rondes :
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En 1920, quelques mois après le traité de Versailles est édité un ouvrage prophétique : “Les conséquences politiques de la paix”. Au milieu de l'euphorie de la victoire, son auteur Jacques Bainville prédit la guerre à venir avec 19 ans d'avance.
Apprendre du passé pour analyser le présent et prédire le futur, voilà qui semble résumer la démarche de l’auteur.
J'ai la joie de recevoir Christophe Dickès, historien, journaliste et fondateur de l'excellent podcast Storiavoce pour un nouveau live vidéo de Morale de l’Histoire le 27 mars à 17 h 00.
Il est l’auteur de “Jacques Bainville, les lois de la politique étrangère”.
Ensemble, nous reviendrons sur le parcours et l’œuvre de l’académicien, sur sa méthode et sur ce qu’il peut nous apprendre sur les temps que nous vivons.
Mon invité est passionnant je peux vous le dire… Alors, venez nombreux !
Alexandre
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